vendredi 1 juillet 2011

Afghanistan: le mirage des négociations avec les talibans

L'annonce officielle du retrait de l'armée américaine a été faite par le président Obama le mercredi 22 juin.

Mais le printemps afghan 2011 avait déjà été ponctué par quatre événements majeurs:
- une augmentation sans précédent des violences des talibans contre l'appareil d'État (attentat dans l'enceinte du ministère de la Défense, assassinats de chefs politiques tadjiks dans le Nord et hazaras dans le Centre, p. ex.);
- des pourparlers entre les gouvernements afghan et américain pour la construction d'une base militaire américaine permanente en Afghanistan;
- la confirmation des contacts directs établis entre les Américains et les talibans (annonce faite par Hamid Karzaï le samedi 18 juin et par le Secrétaire d'État à la Défense américain Robert Gates le 19 juin);
- l'ouverture prochaine d'une représentation diplomatique des talibans dans le Golfe persique (cf. Sara Daniel in 'Le Nouvel Observateur' du 19 mai).


Les négociations secrètes avec les talibans sont menées par le gouvernement afghan d'une part et par les Américains et l'ONU d'autre part, ce qui provoque des situations ubuesques comme l'ouverture de cette représentation des talibans négociée avec les branches les plus radicales de ceux-ci, le Mollah Omar, Hekmatyar et Haquani. Or, contrairement à ce que l'on peut imaginer, le but ultime de ces trois factions rebelles, comme celui des talibans d'origine afghane dont les nom figurent sur la liste noire de l'ONU (1), n'est pas uniquement de prendre le pouvoir mais de s'accaparer l'aide internationale et poursuivre le nationalisme pashtoune.

La négociation avec les talibans est le résultat du changement de la stratégie américaine depuis l'arrivée de Barack Obama au pouvoir et l'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan. En 2009, on pensait qu'il suffisait de sécuriser le pays et que négocier avec les talibans mènerait à la paix. L'expérience nous montre que les efforts de sécurisation et de développement ne mènent à rien, au contraire, cela développe la corruption et retarde la reconstruction.

Les experts se trompent: comme d'habitude, ils s'enferment dans des analyses ethnologiques au lieu de regarder l'évolution socio-politique de l'Afghanistan à la lumière de 30 années de guerre et, pour sortir du bourbier, ils préconisent des recettes anciennes utilisées par les Soviétiques pour construire la paix en Afghanistan. Faut-il rappeler qu'au XIXè siècle déjà, l'Afghanistan était l'enjeu des intérêts géopolitiques des Russes et des Britanniques... À cette époque, les Britanniques s'alliaient sans peine avec les rois et les princes d'ethnie pashtoune pour atteindre leurs objectifs. Dans ce contexte-là, l'afghanisation avait un sens.

Aujourd'hui, dans ce pays, s'affrontent les intérêts des Américains, des Britanniques, des Russes, des Chinois, des Iraniens, des Indiens, des Pakistanais et des Turcs. Aucun de ces pays n'a en face de lui un pouvoir central crédible avec un projet solide pour le pays. Cette situation plonge l'Afghanistan dans une crise politique et économique indescriptible. Alors que les talibans font tout pour discréditer le pouvoir mis en place à Kaboul, le retrait des armées américaines fait courir le risque de plonger les finances de la société afghane dans une crise grave.

D'après la Banque mondiale, 97% des dépenses de la communauté internationale ont servi depuis 2001 à mettre en place une armée et une police. Au risque de me répéter, qui va payer les salaires des militaires dans un pays où la reconstruction n'est pas achevée, où la famine menace et où l'Etat n'est pas en mesure d'assurer ses fonctions régaliennes? Dérouler le tapis rouge aux talibans dans l'espoir d'amener la paix, c'est raviver le nationalisme pashtoune qui risque d'entraîner à nouveau l'humiliation des autres ethnies. C'est une erreur fatale. C'est un cadeau pour le Pakistan qui possède l'arme atomique et qui utilise un double langage pour obtenir l'aide américaine moyennant de faux efforts pour éradiquer Al Qaida.

Le seul moyen de sortir du bourbier afghan, c'est d'abandonner l'approche ethnique, qui est une manière de regarder en arrière et qui enferme l'Afghanistan dans un cloisonnement tribal dépendant de l'aide extérieure. Alors que, si on abandonnait cette approche ethnique au profit d'une approche socio-économique en accordant de plus en plus d'importance aux forces dynamiques du pays, on se rendrait compte que la société afghane est une société agraire et que dans cette société-là, depuis la nuit des temps, la paix sociale est la résultante de la complémentarité entre nomades et paysans. Pour atteindre cet objectif, il faut réviser la stratégie de reconstruction. C'est en «afghanisant» l'économie qu'on réalisera le projet de paix et l'afghanisation politique de l'Afghanistan.

Faut-il rappeler que, tout au long de son histoire, à chaque époque où il y avait des problèmes de famine, les chefs faisaient la guerre soit pour éliminer quelques bouches à nourrir, soit pour étendre leurs territoires et piller les ennemis. Cette pratique ne peut plus avoir cours aujourd'hui. Par contre, reconstruire les institutions pour amener des réformes afin que les nomades dans les déserts et les paysans dans les vallées puissent vivre est un projet d'avenir. Il est temps que l'afghanisation passe par l'économie et la création de la suffisance alimentaire en Afghanistan. Si le paysan ne travaille pas la terre, si le nomade n'exploite pas les ressources rares du désert, le pays tombe dans la dépendance économique et la gratuité.

Le côté pervers de l'aide internationale n'est pas uniquement que l'individu devient consommateur d'une aide gratuite mais aussi que le chef devient également un prédateur de l'aide au lieu d'être un gestionnaire d'un projet politique.
Dès qu'on parle d'aide, les experts utilisent la facilité de l'urgence et l'injection de millions de dollars pour résoudre les problèmes immédiats. C'est une pratique perverse. Il faut avoir l'audace de critiquer cette aide qui fait des Afghans des consommateurs d'école, d'électricité, d'aide à l'agriculture, de santé...

Ce sont les ONG qui font le travail de l'État.
Jusqu'à quand les ONG et les institutions internationales vont-elle vacciner une population qui n'a pas d'état civil en se contentant de marquer à la chaux sur le mur en torchis d'un village le signalement de leur passage? Quelle plume faut-il avoir pour pouvoir écrire l'inutilité d'un vote qu'un électeur glisse dans une urne au nom de la démocratie en mettant son doigt dans une encre indélébile alors qu'il n'a pas de carte d'identité?

La reconstruction de la paix comme de l'économie a besoin de rationalisation, d'audace, d'invention de nouvelles méthodes, de neutralisation des chefs de guerre. Si la communauté internationale qui finance, qui arme, qui donne à manger à la population n'est pas en mesure d'expliquer aux chefs que la poursuite de l'aide dépendra de la manière dont ils s'occupent de la population et de son indépendance politique et économique, à quoi a servi la présence d'armées internationales et la mort de jeunes gens dans ce pays?

Négocier avec les talibans avant qu'ils soient vaincus est un acte politique porteur du germe de guerre civile dans le pays.

Habib Haider 
24.06.11
Notes:
(1) Liste noire dont des noms disparaissent d'ailleurs au gré des négociations...
Source: mediapart   

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