jeudi 31 mars 2011

Libye: deux articles à 15 jours d'intervalle






L'agonie d'une tyrannie

 
Aujourd’hui, on parle de plusieurs milliers de morts ou blessés en Libye. La Cyrénaïque est entre les mains des insurgés. C’est le foyer de la principale tribu du pays (1,5 million de membres), répartie entre Benghazi, Tobrouk et les petites agglomérations du désert. C’est aussi la région la plus riche économiquement ( elle recèle les principaux champs de pétrole) et la plus développée culturellement (proximité avec l’Egypte); c’est enfin le contrôle des ports et d’une partie importante du commerce avec l’étranger. Les Benghazis peuvent étouffer économiquement le pays. D’autant que l’insurrection le touche désormais tout entier. La Tripolitaine est également en feu, et c’est là que le dictateur s’est réfugié. Les Egyptiens organisent déjà une véritable chaîne de la solidarité avec leurs voisins et frères, car plus de 1,5 million d’entre eux vivent en Libye.

Depuis le début de la révolution tunisienne, dont l’onde n’est pas près de s’arrêter, surtout depuis que l’Egypte est passée dans le camp de la démocratie, le sort de la Libye de Kadhafi était noué. Il devait, plus ou moins rapidement, tomber lui aussi. Car c’est désormais la puissante Egypte qui incarne l’exemple pour tous les pays arabes.

Bien sûr, Kadhafi préfère le bain de sang à la démission. C’est une folie. Mais tout son système est une folie: véritable aberration mondiale, on peut le définir, au-delà des frasques liées au déséquilibre psychologique du Guide (atteint d’une dangereuse perversion mégalomaniaque et narcissique) comme une tyrannie politique basée sur un partage économique clientéliste. L’Etat féodal hérité du roi Idriss a été totalement détruit. Il a été remplacé par l’organisation dite de la Jamaharia (république) des conseils populaires, c’est-à-dire une pseudo assemblée constituante permanente, censée représenter la démocratie directe en lien avec le leader charismatique, Mouammar El Kadhafi, présenté comme l’incarnation achevée de ce pouvoir direct. La voix, en somme, et le bras du pouvoir du peuple.

En réalité, le pouvoir est d’une autre nature: il s’agit d’une vulgaire dictature policière, dirigée par Kadhafi, dont le but, en détruisant les structures de l’Etat, est d’empêcher les citoyens de s’organiser et de s’exprimer à travers des canaux de droit, et par suite de permettre au dictateur d’exercer une sorte de tyrannie absolue. Le moyen de cet exercice, au-delà de la police répressive, c’est la maîtrise des ressources financières liées au pétrole et leur répartition clientéliste entre toutes les tribus du pays, gagnant ainsi leur soutien politique.

Ce mode de gestion des tribus a fonctionné pendant quarante ans, mais il n’est pas allé sans crises ni conflits internes. Cependant, depuis dix ans, le ver est dans le fruit: la question de la succession du Chef, affaibli par sa maladie psychologique, était posée. Les élites libyennes se trouvent en quelque sorte dans la même situation que les élites tunisiennes entre le début des années 1980 et 1987, lorsque la sénilité de Bourguiba rendait pratiquement ingouvernable le pays.

En Libye, bien que la nature du personnage et la maladie soient différentes, la question du futur est désormais ouverte: les Libyens devront affronter plusieurs graves problèmes à la fois. Si Kadhafi n’est pas éliminé physiquement, il ne se résignera pas. Soit il achètera un refuge doré dans un pays africain ou ailleurs, soit il organisera, dans le Sud, une armée de terroristes mercenaires: il a l’argent pour cela. Les insurgés libyens devront aussi coûte que coûte éviter la scission du pays.

Il leur faudra construire rapidement des institutions de base pour mettre en place un Etat démocratique. Enfin, la question du rôle de l’armée se pose et se posera plus encore à l’avenir. La répression actuelle a été menée essentiellement par des milices de mercenaires subsahariens grassement payés. Si l’armée passe aux côtés du peuple, elle devra le plus rapidement possible neutraliser ces milices pour les empêcher de pratiquer la politique de la terre brulée, comme cela s’est malheureusement passé en Tunisie.

Le pire n’est peut-être pas encore arrivé pour le peuple libyen. Et c’est pourquoi la solidarité internationale doit s’organiser rapidement. Il faut mettre en quarantaine les représentants de la Libye qui ne condamnent pas la répression aveugle, déclarer Kadhafi coupable de crime contre l’Humanité et lancer contre lui un mandat d’arrêt pour le traduire devant le Tribunal pénal international. Enfin, l’Union européenne devrait agir pour que le Conseil de Sécurité de l’ONU ne se contente pas seulement de condamner la répression, mais organise très rapidement l’envoi de forces internationales de l’ONU pour protéger les civils libyens, comme il l’a fait par le passé en Sierra Leone ou dans d’autres pays d’Afrique. Il n’y a pas d’autre solution si l’on veut éviter des migrations massives.

Sami Naïr *
09.03.11

 
Rien que la Résolution 1973

L’intervention des forces françaises, anglaises et américaines, suivie par celle de la plupart des pays européens (sauf de l’Allemagne qui, décidément, joue de plus en plus le rôle d’une superpuissance solitaire, à l’image de son comportement dans la crise économique européenne et mondiale), n’a rien à voir ni avec le funeste «droit d’ingérence» que les puissances occidentales ont voulu s’octroyer depuis la chute de l’Union soviétique, ni avec une quelconque volonté hégémonique de telle ou telle puissance européenne en Méditerranée. Si bien des calculs peuvent se concevoir, tramés sur le fil des problèmes de politique intérieure et des positionnements pour les intérêts pétroliers dans la Libye de demain, il reste que l’enjeu de l’intervention dépasse très largement ces jeux cyniques et finira par les submerger.

Il a fallu intervenir d’abord pour éviter un massacre de la population civile de Benghazi par Kadhafi, qui le lui avait promis et dont il avait donné l’exemple dans les villes que ses partisans avaient réinvesties. On a tout simplement évité un nouveau Rwanda. L’onde de choc démocratique qui traverse enfin le monde arabe, et qui suscite déjà contre elle l’alliance sacrée de tous les régimes dictatoriaux - de l’Arabie saoudite à la Libye - aurait en outre trouvé un puissant obstacle dans la défaite des insurgés libyens. Cela n’est pas secondaire, car les masses se révoltent dans le monde arabe non contre des régimes qui sont l’expression de la volonté populaire, mais contre des pouvoirs qui violent systématiquement leur droit à choisir démocratiquement leur destin. En Libye, le principal obstacle à l’exercice de la souveraineté populaire, c’est le régime dictatorial de Kadhafi.

Enfin, et cette précision n’est pas secondaire, l’intervention n’est pas une guerre offensive, car elle ne vise pas attaquer délibérément un adversaire défini comme ennemi des puissances engagées contre lui. C’est le Conseil de sécurité de l’ONU qui a donné mandat à des pays qui se sont déclarés disposés à en assumer la responsabilité d’intervenir pour protéger des populations civiles menacées par des forces de destruction militaires incomparablement plus importantes.

Le mandat de la résolution 1973 est très clair: création d’une zone d’exclusion aérienne; protection des populations civiles menacées. Tout ça, et rien que ça. La direction politique des opérations, contrairement à ce que certains prétendent, reste entre les mains du Conseil de sécurité, des puissances intervenantes et de la Ligue arabe. L’OTAN a été associée à cette opération, mais c’était le prix que les Etats-Unis et leurs alliés européens ont voulu faire payer à la France pour l’impliquer plus encore, après son retour dans le commandement intégré de cette organisation, dans le giron occidental.

Sur cette question, la France a tout à fait raison: associer l’OTAN envoie un très mauvais signal à l’opinion publique arabe, et peut, à terme, jouer contre la montée des luttes démocratiques. Les positions de la Turquie, de la Russie et de la Chine, sont très directement dictées par leurs intérêts économiques, au mépris de la volonté démocratique du peuple libyen. L’ambassadeur russe à Tripoli - qui vient d’être rappelé à Moscou - l’a déclaré sans ambages, soulignant que l’abstention de la Russie au Conseil de sécurité coûtera «des milliards» à ses intérêts en Libye. Il est clair que le sort de la démocratie dans le monde arabe est le cadet des soucis de ce monsieur!

Reste le problème de fond: comment va se terminer cette intervention? Tout dépendra de la capacité des forces insurgées à reprendre l’initiative sur le terrain. Pour les puissances intervenantes, plus vite elles sortiront de ce guêpier, mieux ce sera. Car le risque d’enlisement est réel, et Kadhafi utilisera tous les moyens à sa disposition, y compris la guérilla. Il faut donc tout faire pour aider les forces démocratiques par l’envoi d’armes et la transmission d’informations pour leur permettre d’avancer sur le terrain.

Actuellement, la France affirme que des proches de Kadhafi seraient prêts à l’abandonner, ce qui ouvrirait une voie possible de négociations. Il faut explorer cette piste, mais sans trop d’illusions, car nous avons affaire à un pouvoir dans lequel la logique des solidarités tribales l’emporte souvent sur la rationalité des calculs politiques. Il faut enfin tout faire pour éviter une partition de la Libye, mais si cette solution finissait par prévaloir, l’ONU devrait alors déployer des forces d’interposition.


Sami Naïr *
28.03.11
Source: mémoire des luttes
* Sami Naïr est ancien vice-président du Mouvement des citoyens et ex-secrétaire national du Mouvement républicain et citoyen de Jean-Pierre Chevènement.
En 1997 et 1998, il est conseiller du ministre de l'Intérieur pour les questions d'intégration et de codéveloppement; le 29 avril 1998, il est nommé par le premier ministre Lionel Jospin délégué interministériel au codéveloppement et aux migrations internationales.
Candidat sur la liste des socialistes, des radicaux de gauche et du MDC dirigée par François Hollande aux élections européennes, il est député européen de juin 1999 à juin 2004 (MDC-GUE).
Philosophe et sociologue, actuellement conseiller d'État en service extraordinaire, Sami Naïr, titulaire d'un doctorat d'État ès lettres et sciences humaines et d'un doctorat de philosophie, est professeur de sciences politiques à l’université Paris-VIII et professeur invité à l’université Carlos-III de Madrid. Il a également enseigné dans de nombreuses universités étrangères en Europe, en Amérique latine et au Maghreb.
Il est par ailleurs membre du collège des fondateurs et ancien administrateur des Amis du Monde diplomatique (association des lecteurs du mensuel Le Monde diplomatique), président de l'Institut Maghreb-Europe de l'université Paris-VIII et président de la Maison de la Méditerranée de Belfort.
[Wikipedia]

mercredi 30 mars 2011

Israël: "Du mauvais côté"


De toutes les phrases mémorables prononcées par Barack Obama au cours des deux dernières années, celle qui reste gravée dans mon esprit plus que toute autre fut exprimée au cours de son discours du Caire aux premiers jours de son mandat. Il conseillait aux nations de ne pas se placer “du mauvais côté de l’Histoire”.

Il semble que les nations arabes ont pris en considération ce conseil au-delà de ce qu’il aurait pu prévoir. Au cours de ces dernières semaines, elles ont littéralement sauté du mauvais vers le bon côté de l’Histoire. Et quel saut!

Notre gouvernement, cependant, est en train d’évoluer dans la direction opposée. Il est déterminé, semble-t-il, à s’éloigner du bon côté autant qu’il est possible de le faire.

Nous sommes dans un cul-de-sac. Et, par nature, plus vous vous enfoncez dans un cul-de sac, plus la marche arrière que vous devrez effectuer sera longue le moment venu.

Cette semaine une conversation téléphonique fascinante a eu lieu. À un bout de la ligne se trouvait Benjamin Netanyahu et à l’autre la chancelière allemande.

Dans le passé, les dirigeants du monde ne s’adressaient généralement pas directement l’un à l’autre. Bismark ne prenait pas le téléphone pour s’adresser à Napoléon III. Il envoyait des diplomates chevronnés qui savaient comment arrondir les angles et adresser un ultimatum d’une voix aimable.

Netanyahu appelait pour reprocher à Angela Merkel le vote de l’Allemagne en faveur de la résolution du Conseil de sécurité condamnant les colonies – la résolution bloquée par le véto scandaleux des États-Unis. Je ne sais pas si notre Premier ministre a évoqué l’Holocauste, mais il a certainement exprimé sa contrariété de voir que l’Allemagne avait osé voter contre “l’État Juif”.

Il fut choqué par la réponse. Au lieu d’une Madame Merkel contrite s’excusant lamentablement, ses oreilles entendirent une maîtresse d’école le gronder en des termes sans ambiguïté. Elle lui dit qu’il avait trahi toutes ses promesses, qu’aucun des dirigeants du monde n’accorderait plus de crédit à une seule de ses paroles. Elle exigea qu’il fasse la paix avec les Palestiniens.

Si une personne comme Netanyahu pouvait se trouver sans voix, cela lui serait arrivé à ce moment là. Heureusement pour Netanyahu, cela ne peut tout simplement pas lui arriver.

Cette conversation est un symptôme d’un processus en cours: la lente mais constante détérioration de la position internationale d’Israël.

En Israël, on appelle cela “delegitimatsia”. On y voit une sinistre conspiration mondiale, plutôt dans la ligne du Protocole des Sages de Sion. En clair, cela n’a aucun lien avec aucune de nos actions – puisque toutes nos actions sont pures comme l’or. La conclusion qui s’impose: les ennemis d’Israël dans le monde entier – y compris leur cinquième colonne en Israël même – sont en train de comploter la destruction d’Israël par toutes sortes de boycotts.

Nos dirigeants savent comment contrer ce complot: en promulguant des lois. Quiconque fournira aux ennemis d’Israël des listes d’entreprises implantées dans les colonies sera sanctionné. Quiconque appelle à un boycott d’Israël ou des colonies – aux yeux des faiseurs de lois, il ne s’agit que d’une seule et même entité – devra payer des amendes et des indemnités astronomiques, des millions de dollars. Et si cela n’est pas efficace, les ennemis du régime seront envoyés en prison, comme c’est déjà arrivé pour le manifestant pour la paix impénitent Jonathan Pollak.

Mais il apparaît que nos dirigeants ne s’appuient pas sur ces seules mesures. C’est pourquoi, notre secrétaire d’État aux Affaires étrangères (vous vous souvenez? ce génie qui chercha à humilier l’ambassadeur de Turquie en le faisant asseoir sur un tabouret bas?) a décidé de recourir à des remèdes encore plus radicaux: tous les ambassadeurs israéliens seront désormais envoyés à la grotte de Machpela à Hébron pour une rencontre historique avec notre aïeul Abraham qui, selon la croyance juive, y est enterré (les archéologues pensent que c’est un cheikh musulman qui git là dans un repos perturbé.)

Sérieusement, nos dirigeants ressemblent maintenant au gamin de la légende qui enfonça le doigt dans la digue pour arrêter l’eau, encore que dans notre cas c’est l’ensemble de la digue qui est en train de se désagréger.

Oui, la position d'Israël dans le monde continue vraiment à sombrer, mais ce n’est pas à cause d’un complot à l’échelle mondiale unissant les “antisémites” et les “Juifs qui se haïssent”.

Nous sommes en train de sombrer parce que nous sommes du mauvais côté de l’Histoire.

Israël maintient depuis des décennies jusqu’à aujourd’hui un régime d’occupation. Il continue à imposer sa loi à un autre peuple et à l’humilier. Idéologiquement et concrètement, il vit dans l’univers mental du 19è siècle, alors que le reste du monde commence à vivre dans le 21è siècle. La politique d’Israël est tout simplement anachronique.

Le 21è siècle assistera au spectacle de nations qui se rassemblent. Il verra le début d’un ordre mondial, et je suis convaincu que cette idée se réalisera.

Ce n’est pas là une vision d’idéalistes ingénus. C’est une nécessité essentielle pour l’espèce humaine et pour toutes les nations et tous les peuples qui la composent. Le monde est confronté à des problèmes qu’aucun État ni aucun groupe d’États ne pourra résoudre par lui-même. Le réchauffement de la Planète, qui menace l’existence même de l’espèce humaine, est par sa nature même un problème mondial. La crise économique récente a montré que l’effondrement économique d’un pays peut s’étendre comme une traînée de poudre au monde entier. Internet a donné naissance à une communauté à la dimension du monde, dans laquelle les idées se répandent facilement de pays à pays, comme nous le voyons actuellement dans le monde arabe.

Les institutions internationales, qui ne suscitaient dans le passé que dérision, sont lentement en train d’acquérir un réel pouvoir juridictionnel. La Cour Internationale a étendu son influence. Le Droit international, qui était principalement dans le passé une idée abstraite, est en train d’évoluer lentement vers un Droit mondial réel. Des pays importants et forts comme l’Allemagne et la France sont en train d’abandonner librement de larges pans de leur souveraineté au profit de l’Union européenne. Une coopération régionale et mondiale entre nations devient une nécessité politique.

Des concepts comme la démocratie, la liberté, la justice et les droits humains ne sont plus seulement des valeurs morales: dans le monde d’aujourd’hui elles sont devenues des besoins essentiels, les fondements d’un nouvel ordre mondial.

Tous ces processus se déroulent à un rythme d’une lenteur exaspérante, presque géologique. Mais la direction est sans ambiguïté et ne peut être inversée. Quelles que soient les actions d’Obama – ou leur absence – on peut se fier à son intuition concernant la direction.

C’est le “bon côté de l’Histoire”. Mais notre pays ferme les yeux là-dessus. C’est vrai, il excelle dans les plus internationales des activités industrielles, la haute technologie, et il travaille avec succès à développer ses liens économiques avec les régions les plus éloignées du monde. Mais il méprise l’opinion publique internationale, les Nations-Unies et le Droit international. Il reste attaché à une forme de nationalisme qui était “moderne” au temps de la révolution française, lorsque l’“État-nation” représentait l’idéal le plus élevé. Naturellement, le nationalisme n’est pas mort, et il occupe même une place importante dans la conscience des peuples. Mais il s’agit d’une nouvelle forme de nationalisme, le nationalisme du 21è siècle, qui ne s’oppose pas à l’internationalisme mais, au contraire, constitue une brique de l’édifice de la structure internationale.

Les nations arabes se sont brusquement réveillées d’un sommeil séculaire et luttent maintenant pour rattraper les autres nations. Les tyrannies anachroniques qui les ont empêchées de progresser, qui ont gaspillé leurs capacités en leur imposant des schémas de temps révolus, n'ont plus leur place.

Il est difficile de savoir où ces soulèvements, qui sont en train de gagner toute la région allant du Maroc à Oman et de la Syrie au Yémen, vont conduire. Il est difficile de prophétiser, surtout l'avenir.

2011 pourrait bien être pour le monde arabe ce que fut 1848 pour l’Europe. À l’époque, quand le peuple français se souleva, les vagues de la révolution se répandirent sur une bonne partie du continent. Il semble que je ne sois pas le seul à me souvenir aujourd’hui de cet exemple. On peut en apprendre beaucoup et tout n’y est pas positif. En France, le soulèvement balaya un régime corrompu, mais ouvrit la voie à Napoléon III, le premier des dictateurs modernes en Europe. En Allemagne, alors fragmentée en dizaines de royaumes et de principautés, les dirigeants prirent peur et promirent des réformes démocratiques. Mais pendant que se poursuivaient à Francfort les débats de juristes et d’hommes politiques sur la future constitution, les rois rassemblèrent leurs armées, écrasèrent les démocrates et entamèrent une nouvelle période d’oppression. (L’échec de l’assemblée de Francfort trouva son expression dans le vers allemand immortel; “Dreimal hundert Professoren / Vaterland, du bist verloren!” – Trois fois cent professeurs / Mère patrie, te voilà perdue!)

Les révolutions de 1848 laissèrent derrière elles un héritage de déception et de désespoir. Mais elles ne furent pas vaines. Les nobles idées qui prirent naissance au cours de ces mois grisants ne moururent pas, les générations suivantes luttèrent pour les réaliser dans tous les pays du continent. Le drapeau actuel de l’Allemagne vit le jour à cette époque.

Les révolutions arabes aussi pourraient se terminer par un échec et une déception. Elles pourraient donner naissance à de nouvelles dictatures. Ici et là des régimes religieux anachroniques pourraient surgir. Chaque pays arabe est différent des autres et dans chacun d’entre eux les évolutions dépendront de conditions locales. Mais ce qui est survenu hier en Tunisie et en Égypte, ce qui est en train de se produire en Libye et au Yémen, ce qui arrivera demain en Arabie Saoudite et en Syrie façonneront le visage des nations arabes pour longtemps. Elles joueront un rôle tout à fait nouveau sur la scène mondiale.

Israël est dominé par les colons, qui ressemblent par leur attitude aux croisés du 12è siècle. Les partis religieux fondamentalistes, pas tellement différents de leurs équivalents iraniens, jouent un rôle majeur dans notre État. L’élite politique et économique est plongée dans la corruption. Notre démocratie, dans laquelle nous avons placé tant de fierté, est en danger mortel.

Certains font valoir que tout cela arrive parce que “Netanyahu n’a aucune politique”. Absurde. Il a une politique claire: maintenir Israël dans une situation de garnison, pour développer les colonies, pour éviter la création d’un véritable État palestinien et continuer sans paix dans un état de conflit éternel.

En ce moment même une fuite a révélé que Netanyahu se prépare à prononcer un discours historique – encore un – très prochainement. Pas à la Knesset, dont l’importance frise le zéro, mais dans le forum qui a réellement de l’importance: l’AIPAC, le lobby juif de Washington.

C’est là qu’il va exposer son plan de paix, dont les détails ont été également divulgués. Un plan remarquable, qui n’a qu’un petit défaut: il n’a aucun rapport avec la paix.

Il propose de constituer un État palestinien avec des “frontières provisoires”. (Avec nous, rien n’est plus permanent que le “provisoire”). Il comprendra à peu près la moitié de la Cisjordanie. (L’autre moitié, y compris Jérusalem-Est, sera vraisemblablement occupée par des colonies.) Il y aura un calendrier pour la discussion des questions essentielles – frontières, Jérusalem, réfugiés, etc. (Pour Oslo, un calendrier de cinq ans avait été fixé. Il a expiré en 1999, alors que les négociations n’avaient même pas commencé.) Les négociations ne débuteront pas sans que les Palestiniens reconnaissent Israël comme l’État du peuple juif  en acceptant ses “exigences de sécurité”. (Ce qui veut dire: jamais.)

Si les Palestiniens acceptaient un tel plan, il leur faudrait (selon les termes du Secrétaire à la Défense des États-Unis dans un autre contexte) “se faire examiner pour leur état mental”. Mais il va de soi que Netanyahu ne s’adresse pas du tout aux Palestiniens. Son plan est un essai de marketing primaire. (Après tout, il a été dans le passé vendeur de meubles). Le but est de mettre un terme à la campagne internationale de “delegitimatsia”.

Ehud Barak, lui aussi, avait quelque chose à dire cette semaine. Dans une longue interview à la télévision, presqu’entièrement constituée de charabia politique, il a fait une remarque importante: les soulèvements arabes offrent à Israël de nouvelles opportunités. Quelles opportunités? Vous l’avez deviné: l’obtention de quantité plus importantes d’armes américaines. Armes et Amérique über alles.

Et en effet, le seul facteur qui rend cette politique encore possible est la relation sans égale entre Israël et les États-Unis. Mais le réveil arabe, à moyen et à long terme, change l’équilibre de pouvoir entre Israéliens et Arabes – psychologiquement, politiquement, économiquement, et finalement aussi militairement Dans le même temps l’équilibre de pouvoir mondial est aussi en train de changer. De nouveaux pouvoirs apparaissent, d’anciens pouvoirs perdent progressivement de leur influence. Cela ne se produira pas de façon spectaculaire, en une seule fois, mais suivant un processus lent et constant.

C’est de cette façon que l’Histoire évolue. Quiconque se place du mauvais côté en paiera le prix.


Uri Avnéry
05.03.11
[Traduit de l'anglais «Wrong Side» pour l'AFPS : FL/PHL]

mardi 29 mars 2011

Pour mieux comprendre la Libye





Pouvoir insaisissable des comités révolutionnaires, tribalisme et espoir de recomposition d’un Etat démocratique



En Libye, comme dans la plupart des pays musulmans, le poids des tribus (Kabayales), ou le régionalisme, constituent des réalités sociales et politiques dont il faut tenir compte. En effet, d’un pays à l’autre, l’influence des structures tribales néo patriarcales se fait sentir de manière différenciée, dans la vie politique et sociale. C’est le cas, de l’Irak, de la Jordanie et de la plupart des pays du Golfe. En Libye, certaines tribus «nationales», comme les Warfalla (région du Fezzan et du Sud libyen), les Zenata (à l’Ouest de Tripoli), les Zouwaya, les Magariha (Ouest de la Libye) et les Gadhadfa (tribu du colonel Kadhafi implantée à Syrte et au Sud de Benghazi), les Beni Slimanes (Sud du pays et dans les oasis), les Bara’isa (à l’Est) contrôlent des zones territoriales bien délimitées depuis des siècles.

D’autres tribus libyennes sont «transnationales»; c’est le cas des Toubous, qu’on retrouve à la frontière entre la Libye et le Tchad; des Touaregs Tamacheks qui se répartissent entre la Libye, le Niger, le Mali et l’Algérie ou encore les Berbères (Amazigh) vivant dans les montagnes à Ouest de la Libye, près de la Tunisie. L’ensemble des tribus libyennes (nationales et transnationales) est évalué, par les spécialistes libyens, à environ 140 entités tribales, dont certaines ne dépassent pas la taille d’un clan (‘Achira, pl. ‘Achair) moyen, comptant quelques dizaines de familles.

Cependant il faut préciser que les tribus «nationales» libyennes qui comptent réellement dans l’échiquier libyen ne dépassent pas la trentaine. Ces entités sont représentées à tous les niveaux de la vie publique et des institutions étatiques libyennes: Armée, Affaires étrangères, Intérieur, Police et Comités révolutionnaires institués par le colonel Kadhafi. Néanmoins, les 41 ans d’exercice du pouvoir par Kadhafi ont eu pour conséquences de marginaliser et d’affaiblir les institutions étatiques et la société civile (notamment les syndicats, les organisations de défense des droits de l’Homme, etc…). L’Etat libyen s’est progressivement éclipsé pour revêtir un caractère impersonnel similaire à l’a-étatisme. En d’autres termes, le pouvoir étatique a cédé la place à des comités révolutionnaires tentaculaires mais sans attributions légales répondant aux exigences des structures juridiques modernes, notamment au niveau de la séparation entre la gouvernance et l’exécutif.

Ce flou juridique qui a entouré les comités révolutionnaires, a essentiellement servi au renforcement du pouvoir de Kadhafi, donnant l’illusion d’une gestion des affaires publiques par l’ensemble des 6,5 millions de Libyens. Mais, en réalité, l’instauration de ce système «révolutionnaire», n’a abouti qu’à la mise en place d’une combinaison de pouvoirs entre les mains du colonel Kadhafi et d’une oligarchie qui a réussi à contrôler les fabuleux revenus de la rente pétrolière (1,6 million de barils par jour) et les a souvent dilapidé dans des dépenses de prestige (grande rivière artificielle, armes sophistiquées, financement de dictateurs africains et autres, propagande, etc.…). Finalement ce système mis en place par Kadhafi a abouti à l’instauration d’un Etat «insaisissable», ce qui est une curiosité dans le régime du Droit international.

Aujourd’hui, l’ensemble des tribus les plus importantes et qui jouent un rôle dans la vie politique libyenne, comme les Warfala ou les Zouwaya (dépassant un million de membres), ont pris parti contre Kadhafi. Ce dernier bénéficie encore du soutien des tribus minoritaires de Syrte, mais l’ensemble du pouvoir et du territoire libyen lui échappe progressivement au profit des opposants. Une question reste ouverte, c’est la position des Touaregs libyens qui restent divisés et hésitent à soutenir ouvertement Kadhafi. Ces Touaregs maîtrisent les espaces désertiques aux confins du Niger, de l’Algérie et surtout du Mali où Al-Qaida (AQMI) opère par le biais d’éléments aguerris venant de tout le Maghreb, dont la Libye.

Sur le terrain Libyen, la révolte des jeunes s’organise et fait appel à des personnalités, non compromises avec le clan Kadhafi, pour les diriger vers l’établissement d’une nouvelle organisation étatique, en phase avec les sociétés modernes démocratiques et respectueuses des droits de l’homme.

Zidane Meriboute
23.03.11
Source: cetri.be

lundi 28 mars 2011

Bassin méditerranéen: rappel de quelques notions utiles







Région méditerranéenne : une zone sous influences multiples



La région méditerranéenne est aujourd’hui une zone vitale pour la sécurité et la croissance économique des grandes puissances mondiales. Ainsi, elle occupe une place centrale dans les stratégies politiques et militaires de ses pays riverains et de l’Union Européenne mais également des Etats-Unis et de l’OTAN mais aussi de la Russie et, de façon discrète mais néanmoins grandissante, de la Chine et de l’Inde.

Les Etats-Unis interviennent au Proche-Orient et plus largement en Méditerranée dans le cadre d’une stratégie très structurée et très ancienne. La politique d’influence des Etats-Unis dans la région remonte à l’indépendance de la puissance américaine. En 1791, Washington ouvre son premier consulat à Tanger. En 1794, le premier navire de guerre américain entre en Méditerranée dans le cadre d’un accord signé entre les Etats-Unis et le bey de Tunis. Les Etats-Unis mettent fin à cette politique d’influence et d’intervention directe avec l’adoption de la «doctrine Monroe» en 1823. Le grand retour des Etats-Unis au Moyen-Orient s’effectue à l’occasion de l’alliance signée avec l’Arabie Saoudite dans le cadre des accords de Quincy signés en 1945. La seconde grande alliance américaine est celle qui lie les Etats-Unis et l’Etat d’Israël. Le soutien indéfectible des Etats-Unis à Israël ne s’est jamais démenti au cours des dernières décennies. Dans le contexte de la guerre froide, l’espace méditerranéen occupe une place centrale dans la lutte d’influence entre les Etats-Unis et l’URSS. Dans un premier temps, les Etats-Unis tentent une politique d’influence directe auprès des jeunes nations de la région dont ils ont soutenu l’émancipation du joug colonial comme l’Algérie et l’Egypte. Dans un second temps, la stratégie américaine se resserre sur les objectifs de protection de l’Etat d’Israël et de sécurisation des approvisionnements en hydrocarbures. C’est dans cette perspective que s’inscrit le maintien en Méditerranée depuis plus de cinquante ans de la 6è flotte de l’US Navy. L’OTAN constitue un autre outil de la présence de la puissance américaine en Méditerranée. Depuis 1992, l’OTAN maintient une force permanente en Méditerranée. Après la chute du Mur de Berlin, l’OTAN a été amené à reformuler ses objectifs stratégiques. Dans ce cadre, le Dialogue méditerranéen défini en 2004 occupe une place prépondérante.

Pour la Russie, l’accès à la Méditerranée constitue un objectif stratégique traditionnel dans le cadre de sa «course aux mers chaudes» (Mer Noire, Méditerranée, Océan Indien). Le démantèlement du bloc socialiste avait marqué un net reflux de la Russie dans la zone. Il semblerait que l’on assiste aujourd’hui à un «retour» de la Russie en Méditerranée. Une partie du «jeu russe» en Méditerranée s’inscrit dans le contexte de sa stratégie globale de reconstruction de la puissance russe à travers l’utilisation de l’arme énergétique. La politique de Moscou vise ainsi à créer les conditions lui permettant d’augmenter son pouvoir. Sa stratégie de «verrouillage» du marché européen est révélée par une série d’initiatives prises par le géant gazier russe Gazprom, au cours des dernières années. Certains observateurs ont ainsi évoqué une «reconquista russe» à l’occasion de la visite de Vladimir Poutine en Algérie en 2006.

Pour l’instant, la Chine et l’Inde, du fait de leur relative faiblesse stratégique, sont obligés de déléguer aux Etats-Unis la sécurisation de la région. Un des enjeux des décennies à venir sur le plan de la géopolitique méditerranéenne consiste à savoir si ces deux grandes puissances mondiales vont se maintenir dans cette situation de dépendance stratégique vis-à-vis des Etats-Unis où si elles vont, au contraire, décider de prendre leur indépendance et d’entrer à leur tour dans le «grand jeu méditerranéen». La participation de la Chine à la force d’interposition mise en place par les Nations Unies au Liban (FINUL) peut représenter un phénomène avant-coureur de cette montée en puissance de la Chine en Méditerranée sur le plan militaire et stratégique.

Un carrefour commercial et énergétique
La Méditerranée est exposée de façon grandissante aux flux de la mondialisation. La Méditerranée est aujourd’hui un carrefour au sens littéral du terme dans la mesure où elle constitue une des principales zones de trafic du commerce mondial avec près de 30% des transports de marchandises qui la traversent. Cette situation est tout d’abord favorisée par la position géographiquement centrale de l’espace dans les flux commerciaux mondiaux. La Méditerranée est «naturellement» inscrite dans les flux commerciaux internationaux. Ce positionnement privilégié remonte aux temps de la route de la soie puis, plus près de nous, à la mise en service du canal de Suez en 1869. Elle semble actuellement en voie d’intensification comme en témoigne l’augmentation à un rythme très rapide (de l’ordre de 10% par an) des flux d’échange animant l’espace méditerranéen. Auparavant, la croissance et les flux mondiaux étaient captés par d’autres zones. Aujourd’hui, la croissance des échanges entre l’Europe et, d’une part, l’Asie et, d’autre part, l’Amérique et particulièrement l’Amérique latine ont accru la part des flux mondiaux traversant la Méditerranée. Dès à présent, les flux commerciaux entre l’Europe et la Chine sont du même ordre de grandeur que ceux mesurés entre la Chine et les Etats-Unis. Or, une bonne partie de ces flux traverse la Méditerranée.

La question énergétique constitue ainsi une des dimensions majeures de la recomposition du visage géopolitique de la Méditerranée. En effet, certaines régions du bassin méditerranéen constituent des exportateurs nets de ressources énergétiques: Algérie, Libye et Egypte (gaz naturel). Le Sud et l’Est de la région se caractérisent par leur proximité de grandes réserves d’hydrocarbures: Gabon, Nigeria, Tchad, Irak, Iran. La présence de la Chine au Maghreb s’inscrit ainsi dans le cadre d’une stratégie plus globale d’implantation en Afrique, continent riche de ressources énergétiques, minières et naturelles (bois) qui sont nécessaires au développement du nouveau géant de l’économie mondiale. Par ailleurs, la mer Méditerranée constitue également un espace de transit essentiel pour les ressources énergétiques approvisionnant l’Europe et ses 450 millions de consommateurs. Ces ressources viennent du d’Afrique du Nord (principalement d’Alger et de Libye), du Caucase (acheminées par le gazoduc Bakou-Tbilissi-Ceylan), d’Afrique, du Proche-Orient… Certains analystes américains soulignent l’émergence d’un «triangle vital» dont les trois sommets sont constitués par la Chine, les Etats-Unis et le Moyen-Orient. Dépendante à 50% du Moyen-Orient pour ses importations de pétrole, la Chine cherche donc à diversifier ses approvisionnements en hydrocarbures et autres ressources stratégiques, notamment minières. La présence chinoise en Méditerranée a d’ores et déjà largement excédé la simple dimension commerciale et diplomatique classique pour prendre une dimension politique et stratégique, en témoigne ainsi la participation de troupes chinoises aux forces des Nations Unies de maintien de la paix au Liban (Minul). Comme la Chine et les Etats-Unis, l’économie indienne, en croissance constante, est dépendante des hydrocarbures du Moyen-Orient pour son approvisionnement énergétique. Dans la région, l’Inde représenterait même, à terme, un partenaire plus naturel pour les Etats-Unis que la Chine pour les questions de sécurité au Proche-Orient. L’Inde a déjà développé des relations étroites avec les Etats du Conseil de Coopération du Golfe persique (CCG).

De nouvelles puissances méditerranéennes?
Au Nord comme au Sud de l’espace méditerranéen, on constate l’émergence de nouvelles puissances économiques et politiques. Ces nouvelles puissances conduisent des stratégies de plus en plus autonomes notamment en développant des relations avec de nouveaux ensembles comme les puissances asiatiques (Chine et Inde). Le schéma post-colonial qui prévalait entre la rive Nord et la rive Sud jusqu’il y a quelques années semble est devenu aujourd’hui obsolète.

Au Nord, le contexte européen est celui d’une perte d’influence du couple franco-allemand qui semble avoir perdu son statut de moteur de la construction européenne au profit d’une coalition plus large incluant des Etats-membres comme l’Espagne et l’Italie. Ceux-ci semblent avoir largement effectué leur rattrapage économique, notamment l’Espagne dont l’économie a particulièrement profité des fonds européens de cohésion territoriale. Sur le plan international, la montée en puissance de l’Espagne se traduit par sa position privilégiée dans les échanges avec les pays d’Amérique latine.

L’évolution la plus significative réside sans doute dans l’émergence comme puissance de pays de la rive Sud de la Méditerranée.

La Turquie s’affirme de plus en plus comme une puissance régionale. Sa position géographique, présente en Europe et en Asie, en fait un pays de transit pour les projets internationaux dans le domaine du pétrole et du gaz. Le pays est ainsi devenu un «hub» énergétique. Grâce à de nombreux projets de construction d’oléoducs et de gazoducs entre les différents pays de la région, la Turquie pourrait devenir la quatrième grande source d’énergie d’Europe, après la Norvège, la Russie et l’Afghanistan. L’effondrement de l’Union Soviétique a dessiné pour la Turquie, au début des années 90, une nouvelle géographie des possibles. En Asie centrale et dans le Caucase, Ankara comptait alors pour se forger un rêve de rechange à son projet européen sur la solidarité entre peuples turcophones. En Mer Noire aussi, dont l’Empire Ottoman avait dominé presque toutes les rives du 16è au 18è siècle, la Turquie entendait bien profiter du vide créé par la chute de l’URSS. En 2008, il semble que ce rêve de rechange ait vécu. Faute de moyens suffisants, la Turquie joue un rôle aujourd’hui en Asie centrale et dans le Caucase bien plus limité qu’elle ne l’espérait.

L’Algérie connaît actuellement une renaissance de son influence sur la scène internationale. Cette montée en puissance est directement liée aux réserves financières dont s’est doté l’Etat algérien dans un contexte d’augmentation des prix des hydrocarbures. Les marges de manœuvres économiques et politiques que tire l’Algérie de ces réserves pétrolières et gazières sont accrues par la construction de nouvelles alliances avec d’autres puissances, comme la Russie. En août 2006, Gazprom et la Sonatrach ont conclu un accord portant sur la prospection et l’extraction de gaz en Algérie ainsi que sur la modernisation du réseau algérien de gazoducs. Ce retour au premier plan de l’Algérie s’appuie, par ailleurs, sur la reconnaissance par les Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001 de leur rôle dans lutte anti-terroriste. On observe ainsi une intensification de la coopération entre l’Algérie et les Etats-Unis sur le plan diplomatique, militaire et économique.

La Libye apparaît aujourd’hui également comme une véritable puissance nord-africaine. Ses ressources pétrolières lui offrent des capacités financières et un pouvoir de négociation internationale renouvelé. A ce jour, la Libye n’a pas été un partenaire très actif du processus euro-méditerranéen et de l’Union pour la Méditerranée. Mouammar Kadhafi a souvent accusé le concept de Méditerranée de contribuer à couper les pays d’Afrique du Nord du reste du continent.

26.03.11
Source: alterinfo/institut de la Méditerranée

dimanche 27 mars 2011

L’escalade militaire israélienne contre Gaza et l’impunité d’Israël

Gaza la blessée, Gaza l’enfermée, Gaza sous blocus, Gaza la ville martyre, a de nouveau subi les attaques sanglantes d’une armée barbare. Depuis une semaine, les forces de l’occupation israélienne poursuivent leurs attaques, incursions et bombardements contre la Bande de Gaza, attaques qui ont déjà fait beaucoup de martyrs, de blessés, en majorité des civils, et évidemment beaucoup de destructions des infrastructures de cette prison à ciel ouvert.

Gaza la blessée, Gaza l’enfermée, Gaza sous blocus, Gaza la ville martyre, a de nouveau subi les attaques sanglantes d’une armée barbare qui se sert d’avions, de chars, de missiles et de toutes sortes d’armes interdites pour atteindre des enfants et des femmes dans leurs maisons, dans leurs immeubles.

L’armée israélienne profite de ce que tous les regards sont tournés vers les régions voisines et les évènements qui s’y déroulent, révolutions populaires dans le monde arabe et intervention militaire en Libye, pour accentuer son escalade

Son objectif est de saboter les efforts des jeunes Palestiniens qui ont organisé des manifestations pacifiques contre la division et pour l’unité nationale, en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza

Ces crimes israéliens sont un nouvel épisode dans l’histoire sombre de cette occupation qui s’installe sur la souffrance et le sang des enfants, des femmes et des vieillards innocents

Tous ces massacres se font sous le regard d’une communauté internationale insensible face aux violations permanentes des droits des Palestiniens par un Etat qui se prétend libre et démocratique, un Etat qui n’a jamais respecté ni appliqué aucune résolution des Nations-unies

L’absence de réaction efficace de cette communauté comme toujours complice, aveugle et silencieuse, encourage l’occupant à poursuivre ses agressions contre Gaza

Depuis 63 ans dans l’histoire de notre pays, le point noir est incontestablement l’impunité d’Israël. Cet Etat colonial a commis des massacres des crimes, des faits de guerre et impose actuellement à une population blessée et enfermée un blocus inhumain sans aucune sanction des puissances internationales. Bien au contraire, celles-ci encouragent cet Etat raciste par leur soutien politique, économique et militaire.

La communauté internationale se garde bien de dénoncer, voire même de blâmer ces massacres perpétrés par les Israéliens, bien au contraire elle les protège de toute critique que ce soit aux Nations-unies ou au Conseil de Sécurité

La réaction de ces grandes puissances internationales est d’une grande hypocrisie. Elles appliquent constamment la politique du "deux poids, deux mesures": elles réagissent rapidement dans certains pays comme la Libye, sous prétexte de protéger la population civile et quand il s’agit des crimes israéliens quotidiens contre les Palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie, c’est toujours le silence complet, le silence complice.

Nous réclamons l’application du Droit international, nous demandons la protection immédiate des habitants de notre pays qui continuent de souffrir et de donner leur sang parce que personne ne bouge dans ce monde dit libre qui déclare protéger les populations civiles, ce monde qui se manifeste ailleurs et fait semblant de ne rien voir et de ne rien entendre quand il s’agit des Palestiniens.

Notre message, adressé aux Israéliens comme à cette communauté internationale impuissante, est clair et précis: nous, Palestiniens, sommes déterminés, nous allons continuer de résister sur notre terre, elle est ici notre terre, elle est ici notre patrie, ni les massacres israéliens contre nos civils, ni les attaques aveugles de leur armée contre nos maisons, nos écoles et nos usines, ne pourront jamais changer l’attachement qui est le nôtre à ce grand pays qui s’appelle: la Palestine, la Palestine, la Palestine.

Ziad Medoukh
Professeur de français à Gaza
24.03.11
Source: oumma.com

samedi 26 mars 2011

La difficile question libyenne…



Avant de développer la réflexion qui suit, je voudrais préciser deux choses:
1. Comme objecteur de conscience, je suis en principe, contre l’usage des armes
2. La guerre, quelle qu’en soit la forme, est toujours un aveu d’échec

En gardant ces deux affirmations comme balises, je suis aujourd’hui profondément embarrassé. La question libyenne fait débat et pour une fois, les arguments des uns me semblent valoir ceux des autres. Pourquoi?

D’abord, parce qu’il me faut reconnaître modestement que la Libye est sans doute le pays du Maghreb – ou du Machrek selon les sources – qui  m’est le plus étranger. Ensuite, parce que par rapport aux autres pays de la région, les informations en provenance de Libye ont toujours été moins nombreuses que celles de Tunisie, d’Egypte, d’Algérie ou du Maroc… ce qui n’en facilite ni l’approche, ni une bonne perception.

N’ayant pas la possibilité de réagir à tous les articles sur le sujet, j’en retiendrai un de mon ami Jean Bricmont (http://www.michelcollon.info/La-Libye-face-a-l-imperialisme.html), dont je partage la plupart des analyses, sauf dans ce cas. Bien que mon avis ne soit d’aucune utilité, vu que «je ne suis pas au pouvoir – et ne désire pas l’être – avec d’importantes responsabilités, et suis peut-être un petit gauchiste qui bavarde dans mon coin», comme le pointe J. Bricmont, j’ai par honnêteté intellectuelle pris position sur la question libyenne. Avec recul et avec beaucoup de difficulté. Mais je l’assume pleinement, même au risque de n’être pas compris, et peut-être de perdre l’un ou l’autre camarade en cours de route…

Je ne reviendrai pas sur la mainmise du clan Kadhafi sur le pays depuis 42 ans, ni sur les frasques du colonel dont chacun a pu apprécier les voltes-faces imprévisibles au cours de cette période. Pour ma part, j’en tire le constat que nous sommes bien en face d’un dictateur. Et que certains, au nom de leur opposition à l’intervention militaire étrangère, semblent d’un coup en tempérer les pires méfaits, me paraît plus qu’équivoque. Réticent à toute forme de pouvoir n’émanant pas du peuple, je n’en suis que plus déterminé face à une dictature. Le régime du colonel Kadhafi ne trouve donc pas à mes yeux le moindre espace de sympathie. Il me paraît dès lors incompréhensible que nos pays qui se targuent à la moindre occasion d’appartenir au camp démocratique, puissent fréquenter voire collaborent avec un tel régime. En théorie. Parce que dans la réalité, nos belles démocraties n’échappent pas à la duplicité d’un monde beaucoup plus complexe que nos morales l’exigeraient… et suite aux connivences multiples de nos pays avec les régimes déchus de Ben Ali et Mubarak, ne nous a-t-on pas dit que nos démocraties avaient pour usage de parler avec tout le monde, insistant même sur le fait qu’à force de ne vouloir des contacts qu’avec les seuls pays dont les pratiques convenaient à nos critères, peu d’entre eux auraient notre écoute ? Je cherche toujours les lieux où ces déclarations résolues ont favorisé la moindre rencontre avec le Hamas – pourtant élu de manière démocratique et sous leur contrôle ! – le  Hezbollah, le régime de Mugabe, etc… sans grand succès, mais soit, on n’en est plus à une contradiction ou à une hypocrisie près…

Ceci étant et pour en revenir à la question libyenne,  je veux préciser qu’à mon opposition au recours aux armes, je dois ajouter: sauf quand la situation l’exige. Non-violent, oui; pacifiste à tout crin, non. Si mes proches et moi sommes agressés ou menacés de mort, sans capacité à nous défendre seuls, je ferai appel à l’aide extérieure pour éviter le pire.

Nombre d’articles écrits par une certaine gauche, dénoncent l’ingérence militaire actuelle, y voyant la plupart du temps une nouvelle occasion pour faire main basse sur le pétrole libyen. C’est une analyse à peu de frais qui me paraît erronée. Le pétrole coule à flots depuis la Libye vers quantité de pays occidentaux, et au contraire de ce que ces pseudo-analyses dénoncent, les tensions des derniers jours ne font que propulser ses cours de record en record, menaçant par-là même, la fragile reprise économique de nos pays.

J. Bricmont écrit: «On a évoqué la notion de la « responsabilité de protéger » les populations, mais en brûlant un peu les étapes. De plus, il n’y a pas de preuves que Kadhafi massacre la population dans le simple but de la massacrer. C’est un peu plus compliqué que cela : il s’agit plutôt d’une insurrection armée et je ne connais pas de gouvernement qui ne réprimerait pas ce type d’insurrection.»

D’abord, et pour ne pas «brûler les étapes» il conviendrait de s’arrêter sur ce principe relativement nouveau adopté par l’ONU sous Kofi Annan de «responsabilité de protéger les populations». Lire à ce sujet, l’intervention de Hubert Védrine (http://www.medelu.org/spip.php?article768). Ensuite, si c’est effectivement «un peu plus compliqué», l’honnêteté intellectuelle se doit de corriger une première affirmation trompeuse: au départ, les manifestants au régime libyen étaient à l’instar des autres (Tunisie, Egypte, …) non-violents. C’est le régime qui a organisé la répression contre son peuple, mais les forces militaires étaient alors relativement maigres et quelque peu désorientées face à la masse des contestataires. Sans parler des nombreux soldats qui se sont rapidement ralliés aux manifestants, refusant les ordres de tirer sur des citoyens désarmés. Et c’est parce que dans un premier temps l’armée s’est retirée, que les manifestants ont eu accès aux dépôts d’armes que leur ont ouvert les déserteurs. Au départ, il ne s’agit donc pas du tout d’une «insurrection armée qu’aucun gouvernement ne réprimerait pas». Il s’agissait comme ailleurs, d’une résistance populaire pacifique, opposée au régime… Par ailleurs, insinuer le doute que Kadhafi ne massacre sa population me semble également peu honnête, au vu des menaces mêmes du dictateur, des témoignages des déserteurs, des journalistes d’Al Jazeera ainsi que des opposants eux-mêmes… Et faut-il rappeler les deux chasseurs libyens qui se sont posés à Malte pour douter des intentions du colonel? Mais, la question est peut-être bien celle-là: qui écoutons-nous? Nos certitudes et nos principes, ou les manifestants démunis qui jusqu’à présent encore, remercient les pays qui sont intervenus pour les sauver in extremis d’un massacre de plus sur Benghazi…

Plus loin dans l’article: «Il aurait déjà fallu essayer honnêtement toutes les solutions pacifiques. Ça n’aurait peut-être pas fonctionné mais là, il y a eu une volonté manifeste de rejeter ces solutions.»

Ici aussi je pense qu’au départ, les manifestants ont tenté de faire comprendre au régime qu’il fallait dégager, mais cela «n’a pas fonctionné». Et comme en Tunisie, en Egypte et ailleurs, le pouvoir a d’abord tenté de mâter la contestation populaire par la force. Mais à la différence de ces pays (et on suivra comment cela se passe au Yémen, au Bahreïn, en Syrie,... ) le régime Kadhafi, loin de rechercher un dialogue avec son peuple s’est réorganisé en faisant appel à des mercenaires étrangers qui n’auraient pas d’état d’âme à tirer sur la population. Penser que dans de telles circonstances, l’on soit encore dans le temps du dialogue me paraît relever au minimum d’une singulière naïveté. Et imputer par cette réflexion, la responsabilité de la situation actuelle à ceux qui sont devenus malgré eux des «insurgés» (selon la terminologie utilisée par le régime) me paraît quelque peu douteux.

Ensuite: «Au niveau politique, la plupart des partis soutiennent l’intervention. Même à gauche, des trotskistes à Mélenchon, tous partent la fleur au fusil. Les plus modérés soutenaient juste l’application d’une zone d’interdiction aérienne mais si Kadhafi envoie ses tanks vers Benghazi, qu’est-ce qu’on fait? (…) La gauche, incapable de soutenir de vraies positions alternatives, se trouve piégée par la logique de l’ingérence humanitaire et est obligée de soutenir Sarkozy. Si la guerre se passe vite et bien, le président français sera sans doute bien positionné pour 2012 et la gauche lui aura mis le pied à l’étrier. Cette gauche n’assumant pas un discours cohérent opposé aux guerres est obligée de se mettre à la remorque de la politique d’ingérence.»

Passons sur la caricature facile que «tous partent la fleur au fusil» (ce que je ne crois pas) et mettons cela sur l’émoi qu’une telle problématique peut soulever. En ce qui me concerne, la Résolution votée à l’ONU me paraît claire et il convient de s’y tenir. N’y a-t-il pour autant, aucun risque de dérapage? Sans doute que si. Et ce ne serait pas la première fois. C’est pourquoi les mouvements anti-guerre doivent rester plus vigilants que jamais. Le cadre a été donné, il convient de s’y tenir. Et cela représente un travail constant. Par ailleurs, si je me situe à gauche – sans me reconnaître dans celle du PS qui n’y est plus depuis longtemps – cela ne me met pas des œillères au point de ne rien accepter qui vienne de Sarkozy, d'Obama ou d’ailleurs. C’est quoi ce délire!? Et c’est-là qu’à mon tour «je suis furieux» et que j’en veux à cette gauche qui décrète que parce que cela viendrait d’un tel ou d’un autre, cela n’aurait aucune valeur et devrait être automatiquement rejeté. Une telle attitude n’a pour fondement qu’une fixation sur des principes, ce que je conteste. Il faut me semble-t-il garder sa capacité d’analyse et ne jamais manquer de souplesse ni de recul dans toute réflexion. En d’autres occasions, ce type de fixation et de rigidité s’appelle de l’intégrisme, et pourrait être de la même manière que J. Bricmont le dénonce, le «piège» de cette gauche arcboutée coûte que coûte sur des principes bien éloignés des réalités de terrain…

Plus loin: «Pour s’assurer le contrôle de la région et protéger Tel-Aviv, les Occidentaux veulent probablement se débarrasser des gouvernements déjà hostiles à Israël et aux Occidentaux. Les trois principaux sont l’Iran, la Syrie et la Libye. Cette dernière étant la plus faible, on l’attaque.»

Oui, peut-être. Mais dans un tel entretien, n’eût-il pas fallu relever qu’un des fils de Kadhafi s’est rendu en Israël pour demander l’appui des «spécialistes» en termes de répression des révoltes populaires, et faut-il taire qu’Israël semble avoir fourni les bonnes adresses où recruter des mercenaires? Etrange collaboration quand même pour ceux que l’on dit être des ennemis jurés…

Ensuite: «L’Occident, qui pensait pouvoir contrôler le monde arabe avec des marionnettes comme Ben Ali et Mubarak, se dirait soudainement: «On a eu tout faux, maintenant on va soutenir la démocratie en Tunisie, en Egypte et en Libye»? C’est d’autant plus absurde que l’une des grandes revendications des révolutions arabes est le droit à la souveraineté. Autrement dit, pas d’ingérence!»

Il arrive peut-être un moment où l’Occident prenant conscience de ses déconfitures en Irak, en Afghanistan et ailleurs, se dit qu’en effet cela ne peut plus continuer, ni pour une question de faillite virtuelle de nos Etats désargentés, ni d’autant quand les forces populaires telles qu’on les a vues dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient exigent le changement et n’ont plus rien à perdre pour l’obtenir. Mais les changements politiques qui surviennent dans le monde sont-ils toujours de cette nature: du tout ou rien!? Ici aussi, il me semble qu’une certaine nuance aiderait au débat…

Enfin: «(…) si tout le monde faisait comme la Suisse, pour les raisons que j’ai expliquées précédemment, le monde irait beaucoup mieux. (…) Selon moi, la meilleure alternative est la coopération avec les différents pays, quels que soient leurs régimes. A travers le commerce, mais pas celui des armes évidemment, les idées circulent et les choses peuvent évoluer, sans guerre. On peut bien-sûr discuter des modalités : commerce équitable, écologique, etc. Mais le commerce est une alternative beaucoup moins sanglante aux sanctions et aux embargos qui sont la version soft des guerres humanitaires.»

Est-il bien certain que tout irait mieux si nos pays se comportaient comme la Suisse, à savoir: devenir des endroits où tout l’argent sale du monde converge pour les trafics les plus obscurs!? Combien de mafieux sans scrupules, de trafiquants de drogue, d’armes et de réseaux de prostitutions ne lavent-ils pas plus blanc via le système bancaire suisse!? Et même à mettre entre parenthèse ce système bancaire des plus troubles, cela ne me semble pas suffire à la démonstration. En restant lucide et pragmatique, il me paraît une fois encore quelque peu naïf de penser que «le commerce est une alternative beaucoup moins sanglante»… Et penser qu’il suffit de s’opposer au commerce des armes pour se dire que la solution se trouve-là me paraît non seulement léger mais dans le cas précis, particulièrement hors de toute réalité de terrain. Combien de sombres et odieux commerces sont pratiqués dans quantité de pays, jetant dans la famine, la misère et la mort nombre d’indigents… et dans un silence complice!?

Pour conclure, je dirais à J. Bricmont que si je le rejoins sur certains points – non au principe de la guerre; réserve sur le droit d’ingérence; rejet de toute course aux armements; privilégier le dialogue tant qu’il est possible; regret que la proposition Chavez n’ait pas été prise en compte; etc… – je ne peux, cette fois, le rejoindre de manière globale. Parce que dans les exemples pris pour étayer les nombreux articles sur le sujet dont celui-ci, il est souvent fait référence à d’autres situations, en oubliant de rappeler d’une part, que comparaison n’est pas raison et d’autre part, que c’est la résistance libyenne qui a appelé à l’aide, relayée par la Ligue arabe. Ce n’est pas l’ONU qui a décidé d’une intervention de manière unilatérale. Et aujourd’hui, malgré les frappes aériennes, l’on peut voir les difficultés de cette résistance désorganisée, non-préparée et inapte au maniement des armes, avoir bien des difficultés à reconquérir les villes reprises par les mercenaires et l’armée du régime. C’est dire que s’il n’y avait pas eu d’intervention, l’on aurait probablement assisté à un bain de sang sur Benghazi dont le contentieux avec le pouvoir n’est pas vierge.

Je lis aussi ici-et-là qu’au lieu d’intervenir directement, il eût fallu armer la résistance. Déjà, une telle option s’inscrit dans une logique de guerre – or, les manifestants libyens ne s’inscrivaient pas dans cette logique au départ – puis, à partir du moment où l’on choisit d’armer ceux qui par obligation sont devenus résistants, d’où donc proviendraient les armes sinon des Etats-mêmes que l’on condamne pour leur intervention? De la Chine ou de la Russie qui se sont abstenues lors du vote de la résolution onusienne? Les armes chinoises ou russes seraient-elles moins létales que celles de l’Occident!? Et nous revoilà bien vite ramenés à la logique cynique mais implacable du monde qui est le nôtre…

Je me permets de rappeler aussi que nombreux sont les intervenants condamnant l’intervention en Libye qui la réclament pour la protection du peuple en Palestine. Alors de deux choses l’une: ou dans certains cas, une intervention est nécessaire ou elle ne l’est jamais. Et le fait qu’elle n’arrive pas pour soulager les Palestiniens nous rappelle autre chose: que nous sommes comme l’évoque J. Bricmont dans un rapport de force. Nous n’attaquons pas la Corée du Nord écrit-il, parce que l’on croit que le pays possède la bombe atomique (à vérifier!)… nous n’intervenons donc pas en Palestine, parce qu’on sait qu’Israël bénéficie d’une redoutable machine de guerre… Il est  fort regrettable de devoir établir ce constat, mais c’est la stricte réalité. Et il y a ainsi deux manières de se positionner: rêver à des lendemains meilleurs – mais je laisse cela à la démagogie politique ou aux discours religieux – ou tenir compte de la stricte réalité pour construire le monde d’aujourd’hui. Si nous intervenons en Libye, c’est donc aussi parce que de manière bassement pragmatique, nous pensons la chose possible. Et plutôt que de la dénoncer, cela devrait servir à révéler le deux-poids deux-mesures dans le cas palestinien et rappeler aux politiques cette criante injustice.

En vérité, la seule loi qui régit nos rapports aux autres dans le monde, est la loi du plus fort. Et il en est ainsi depuis que la terre tourne. Nos bagnoles, nos écrans plats, nos portables, nos piscines, nos systèmes de chauffage, nos machines à laver, nos salles de bains climatisées, nos sorties-ciné ou resto, nos loisirs, nos congés payés, et jusqu’au moindre gadget… tout cela dont nous ne pouvons (voulons) plus nous passer, nous le construisons depuis toujours, par la force, mais on ne veut pas le voir. C’est ce confort sans pareil que nous ne voyons même plus, auquel tentent d’accéder les milliers de jeunes qui gisent au fond de la Méditerranée. Nous pouvons le déplorer, nous pouvons le dénoncer, nous pouvons tenter d’y mettre fin sous prétexte que ce qui fait la grandeur humaine est d’échapper à ce type de loi. Cela n’enlève rien aux faits. Et les faits sont sans appel et se vérifient chaque jour. Ne pas s’en rappeler, ne pas le reconnaître, ne pas en tenir compte est une hypocrisie ou une erreur de base de toute analyse, d’autant si elle est politique, terrain d’excellence de rapports de force entre parties. Si la politique peut être l’espace de réalisations concrètes de nos rêves, les acquis sont toujours la résultante d’âpres luttes, de grèves pugnaces, de combats sociaux déterminés pour arracher pouce par pouce au pouvoir un mieux-être toujours relatif. En réalité, rien ne change sous le soleil !

Daniel Vanhove 
Observateur civil
Auteur
25.03.11

vendredi 25 mars 2011

La Libye face à l’impérialisme humanitaire

Kosovo, Irak, Afghanistan: les partisans d’une intervention en Libye n’auraient-ils pas retenu la leçon? Jean Bricmont, auteur d’un ouvrage sur l’impérialisme humanitaire, nous explique pourquoi le droit d’ingérence est incompatible avec la paix dans le monde et dessert les causes humanitaires. A moins bien-sûr, que ces causes ne soient que des prétextes…


Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste l’impérialisme humanitaire?
C’est une idéologie qui vise à légitimer l’ingérence militaire contre des pays souverains au nom de la démocratie et des droits de l’Homme. La motivation est toujours la même: une population est victime d’un dictateur, donc il faut agir. On nous sort alors les références à la Deuxième Guerre mondiale, à la guerre d’Espagne et j’en passe. Le but étant de faire accepter l’intervention. C’est ce qui s’est passé pour le Kosovo, l’Irak ou l’Afghanistan.

Et aujourd’hui, c’est le tour de la Libye?
Il y a une différence car ici, une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies l’autorise. Mais cette résolution a été votée à l’encontre des principes-mêmes de la Charte des Nations Unies. En effet, je ne vois aucune menace extérieure dans le conflit libyen. On a évoqué la notion de la «responsabilité de protéger» les populations, mais en brûlant un peu les étapes. De plus, il n’y a pas de preuves que Kadhafi massacre la population dans le simple but de la massacrer. C’est un peu plus compliqué que cela: il s’agit plutôt d’une insurrection armée et je ne connais pas de gouvernement qui ne réprimerait pas ce type d’insurrection.

Evidemment, il y a des dommages collatéraux et des morts parmi les civils. Mais si les Etats-Unis savent comment éviter de tels dommages, qu’ils aillent l’expliquer aux Israéliens et qu’ils l’appliquent eux-mêmes en Irak et en Afghanistan. Nul doute également que les bombardements de la coalition vont aussi provoquer des pertes civiles.

Je pense donc que d’un point de vue strictement légal, la résolution du Conseil de Sécurité est discutable. Elle est en fait le résultat d’années de lobbying pour faire reconnaître le droit d’ingérence qui se trouve ici légitimé.

Pourtant, même dans la gauche, beaucoup pensent qu’il fallait intervenir en Libye pour arrêter le massacre. C’est une erreur de jugement selon vous?
Oui et pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cette campagne établit le règne de l’arbitraire. En effet, le conflit libyen n’a rien d’exceptionnel. Il y en a beaucoup d’autres dans le monde, que ce soit à Gaza, à Bahreïn ou, il y a quelques années, au Congo. Dans ce dernier cas, nous étions dans le cadre d’une agression extérieure de la part du Rwanda et du Burundi. L’application du droit international aurait permis de sauver des millions de vie mais on ne l’a pas fait. Pourquoi?

Ensuite, si on applique les principes de l’ingérence qui sous-tendent l’attaque contre la Libye, cela veut dire que tout le monde peut intervenir partout. Imaginons que les Russes interviennent à Bahreïn ou les Chinois au Yémen: ce serait la guerre généralisée et permanente. Une grande caractéristique du droit d’ingérence est donc le non-respect du droit international classique. Et si on devait modifier le droit international par de nouvelles règles légitimant le droit d’ingérence, cela déboucherait sur la guerre du tous contre tous. C’est un argument auquel les partisans du droit d’ingérence ne répondent jamais.

Enfin, ces ingérences renforcent ce que j’appelle l’«effet barricade»: tous les pays qui sont dans la ligne de mire des Etats-Unis vont se sentir menacés et vont chercher à renforcer leur armement. On a vu ce qui s’est passé avec Saddam. Kadhafi avait d’ailleurs déclaré à la ligue arabe: «On vient de pendre un membre de cette ligue et vous n’avez rien dit. Mais ça peut vous arriver aussi car, si vous êtes tous des alliés des Etats-Unis, Saddam l’était aussi autrefois». Aujourd’hui, la même chose se reproduit avec Kadhafi et la menace qui pèse sur de nombreux Etats risque de relancer la course à l’armement. La Russie, qui n’est pourtant pas un pays désarmé, a déjà annoncé qu’elle allait renforcer ses troupes. Mais ça peut même aller plus loin: si la Libye avait l’arme nucléaire, elle n’aurait jamais été attaquée. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on n’attaque pas la Corée du Nord. La gauche qui soutient l’intervention en Libye devrait donc bien se rendre compte que la conséquence de l’ingérence humanitaire est de relancer la course à l’armement et de créer des logiques de guerre à long-terme.

Cette intervention militaire contre Kadhafi ne serait-elle pas pourtant un moindre mal?
Il faut réfléchir aux conséquences. Maintenant que les forces occidentales sont engagées, il est évident qu’elles vont devoir aller jusqu’au bout, renverser Kadhafi et installer les rebelles au pouvoir. Que va-t-il se passer alors? La Libye semble divisée. S’il y a une résistance à Tripoli, l’Occident va-t-il occuper le pays et s’embarquer dans une guerre sans fin comme en Irak ou en Afghanistan?
Imaginons quand-même que tout se passe bien: les coalisés se débarrassent de Kadhafi en quelques jours, les rebelles prennent le pouvoir et le peuple libyen est uni. Tout le monde est content et après? Je ne pense pas que l’Occident va dire: «Voilà, on a fait ça parce qu’on est gentil et qu’on aime bien les droits de l’Homme. Maintenant, vous pouvez faire ce que vous voulez». Que se passera-t-il si le nouveau gouvernement libyen apparaît trop musulman ou ne limite pas correctement les flux migratoires? Vous croyez qu’on va les laisser faire? Il est évident qu’après cette intervention, le nouveau gouvernement libyen sera prisonnier des intérêts occidentaux.

Si l’intervention militaire n’est pas la solution, que faire?
Il aurait déjà fallu essayer honnêtement toutes les solutions pacifiques. Cela n’aurait peut-être pas fonctionné mais là, il y a eu une volonté manifeste de rejeter ces solutions. C’est d’ailleurs une constante dans les guerres humanitaires. Pour le Kosovo, il y avait des propositions serbes très détaillées pour aboutir à une solution pacifique mais elles ont été refusées. L’Occident a même imposé des conditions qui rendaient toute négociation impossible comme l’occupation de la Serbie par les troupes de l’Otan. En Afghanistan, les Talibans ont proposé de faire juger Ben Laden par un tribunal international si on leur fournissait les preuves de son implication dans l’attentat du World Trade Center. Les Etats-Unis ont refusé et bombardé. En Irak, Saddam avait accepté le retour des inspecteurs de l’ONU ainsi que de nombreuses conditions extrêmement contraignantes. Mais ce n’était jamais assez. En Libye, Kadhafi a accepté un cessez-le-feu et proposé qu’on envoie des observateurs internationaux. Les observateurs n’ont pas été envoyés et on a dit que Kadhafi ne respectait pas le cessez-le-feu. L’Occident a aussi rejeté la proposition de médiation de Chavez, pourtant suivie par de nombreux pays latinos ainsi que l'Organisation de l'Unité Africaine.

A ce sujet, je suis furieux quand j’entends, en Europe, des gens de gauche dénoncer l’horrible Alliance Bolivarienne qui soutient le dictateur Kadhafi. Ces gens n’ont rien compris! Les dirigeants latinos sont des personnes au pouvoir avec d’importantes responsabilités. Ce ne sont pas des petits gauchistes qui bavardent dans leur coin. Et le grand problème de ces dirigeants, c’est l’ingérence des Etats-Unis: moins les Etats-Unis pourront faire ce qu’ils veulent partout dans le monde, mieux ça vaudra pour tous ces pays qui tentent de s’émanciper de leur tutelle et pour le monde entier.

Le fait de rejeter systématiquement les solutions pacifiques signifie-t-il que l’ingérence humanitaire est un prétexte?
Oui, mais si ça fonctionne bien auprès des intellectuels, j’ai plus de doute sur la réaction des peuples européens. Vont-ils soutenir leurs dirigeants dans l’attaque contre Kadhafi? Au niveau des peuples, ce sont les guerres sécuritaires qui trouvent plus de légitimité: lorsqu’il y a, par exemple, une menace contre nos populations, nos modes de vie, etc. Mais ici et en France, avec tout le climat islamophobe (que je n'approuve pas, mais qui existe), allez expliquer qu’on va se battre en Cyrénaïque pour des insurgés qu’on voit crier «Allah U Akbar»… C’est contradictoire!

Au niveau politique, la plupart des partis soutiennent l’intervention. Même à gauche, des trotskistes à Mélenchon, tous partent la fleur à fusil. Les plus modérés soutenaient juste l’application d’une zone d’interdiction aérienne mais si Kadhafi envoie ses tanks vers Benghazi, qu’est-ce qu’on fait? Durant la Deuxième Guerre mondiale, les Allemands ont perdu le contrôle aérien assez rapidement mais ils ont tenu encore plusieurs années. Les modérés devaient bien se douter que, dans la mesure où l’objectif est de renverser Kadhafi, on irait plus loin que l’établissement d’une zone d’interdiction aérienne.

La gauche, incapable de soutenir de vraies positions alternatives, se trouve piégée par la logique de l’ingérence humanitaire et est obligée de soutenir Sarkozy. Si la guerre se passe vite et bien, le président français sera sans doute bien positionné pour 2012 et la gauche lui aura mis le pied à l’étrier. Cette gauche n’assumant pas un discours cohérent opposé aux guerres est obligée de se mettre à la remorque de la politique d’ingérence.

Et si la guerre se passe mal?
C’est malheureux, mais le seul parti français à s’être opposé à l’intervention en Libye est le Front National. Il a notamment évoqué la menace des flux migratoires et en a profité pour se démarquer de l’UMP et du PS en disant qu’il n’avait jamais collaboré avec Kadhafi. Si la guerre en Libye ne se passe pas comme prévu, ça pourra bénéficier au Front National pour 2012.

Si l’ingérence humanitaire n’est qu’un prétexte, quel est l’objectif de cette guerre?
Les révolutions arabes ont surpris les Occidentaux qui n’étaient pas assez bien informés sur ce qui se passait au Maghreb et au Moyen-Orient. Je ne conteste pas qu’il y a de bons spécialistes de la question mais souvent, ils ne sont pas assez écoutés à un certain niveau de pouvoir et s’en plaignent d’ailleurs. Donc maintenant, les nouveaux gouvernements égyptien et tunisien risquent de ne plus s’aligner sur les intérêts occidentaux et par conséquent, pourraient être hostiles à Israël.

Pour s’assurer le contrôle de la région et protéger Tel-Aviv, les Occidentaux veulent probablement se débarrasser des gouvernements déjà hostiles à Israël et aux Occidentaux. Les trois principaux sont l’Iran, la Syrie et la Libye. Cette dernière étant la plus faible, on l’attaque.

Ça peut fonctionner?
L’Occident rêvait de dominer le monde mais on voit depuis 2003, avec le fiasco irakien, qu’il en est incapable. Avant, les Etats-Unis pouvaient se permettre de renverser des dirigeants qu’ils avaient eux-mêmes portés au pouvoir, comme Ngô Dinh Diêm au Sud-Viêtnam dans les années 60. Mais Washington n’a plus la possibilité de faire ça aujourd’hui. Au Kosovo, les Etats-Unis doivent composer avec un régime mafieux. En Afghanistan, tout le monde dit que Karzaï est corrompu mais ils n’ont pas d'alternative. En Irak, ils doivent aussi s’accommoder d’un gouvernement qui est loin de leur convenir totalement.

Le problème se posera certainement en Libye aussi. Un Irakien me disait un jour: «Dans cette partie du monde, il n’y a pas de libéraux au sens occidental du terme, hormis quelques intellectuels assez isolés». Comme l’Occident ne peut pas s’appuyer sur des dirigeants qui partagent ses idées et défendent totalement ses intérêts, il essaie d’imposer des dictateurs par la force. Mais ça crée évidemment un décalage avec les aspirations de la base populaire.
De plus, cette démarche se révèle être un échec et les gens ne devraient pas être dupes sur ce qui se passe. L’Occident, qui pensait pouvoir contrôler le monde arabe avec des marionnettes comme Ben Ali et Mubarak, se dirait soudainement: «On a eu tout faux, maintenant on va soutenir la démocratie en Tunisie, en Egypte et en Libye»? C’est d’autant plus absurde que l’une des grandes revendications des révolutions arabes est le droit à la souveraineté. Autrement dit, pas d’ingérence!

L’Occident doit se résigner: le monde arabe, tout comme l’Afrique et les Caraïbes, ne lui appartient pas. En fait, les régions où l’Occident s’ingère le plus sont les moins développées. Si on respecte leur souveraineté, ces régions pourront se développer, tout comme l’Asie l'a fait et l’Amérique latine le fera sans doute. La politique d’ingérence est un échec pour tout le monde.

Quelle alternative alors?
Tout d’abord, il faut savoir que la politique d’ingérence nécessite un budget militaire important. Sans le soutien des Etats-Unis et leur budget militaire délirant, la France et la Grande-Bretagne ne se seraient pas engagées. La Belgique encore moins. Mais tous ces moyens mis à disposition ne tombent pas du ciel. Ce budget est basé sur des emprunts à la Chine qui entraînent des déficits US et toutes sortes de problèmes économiques. On y pense rarement.
De plus, on nous répète tout le temps qu’il n’y a pas d’argent pour l’éducation, la recherche, les pensions, etc. Et subitement, il y a une grosse somme qui tombe pour faire la guerre en Libye. C’est une somme illimitée car on ne sait pas combien de temps cette guerre va durer! On dépense par ailleurs déjà de l’argent en pure perte en Afghanistan.

Il faut donc avoir une autre vision politique et la Suisse est, selon moi, un bon exemple. Ce pays consacre son budget militaire uniquement à la protection de son territoire. Les Suisses ont une politique de non-intervention cohérente car leur armée ne peut pas, par principe, quitter le territoire. On peut dire que la Suisse laisse Kadhafi massacrer les insurgés mais premièrement, elle n’a jamais commis de génocide ou d’autres massacres, même si on peut critiquer sa politique sur d'autres plans (banques ou immigration). Et deuxièmement, si tout le monde faisait comme la Suisse, pour les raisons que j’ai expliquées précédemment, le monde irait beaucoup mieux.

Les guerres et les embargos ont toujours des conséquences désastreuses. Selon moi, la meilleure alternative est la coopération avec les différents pays, quels que soient leurs régimes. A travers le commerce, mais pas celui des armes évidemment, les idées circulent et les choses peuvent évoluer, sans guerre. On peut bien-sûr discuter des modalités: commerce équitable, écologique, etc. Mais le commerce est une alternative beaucoup moins sanglante aux sanctions et aux embargos qui sont la version soft des guerres humanitaires.

Jean Bricmont
interrogé par Grégoire Lalieu
23.03.11
Source : www.michelcollon.info

jeudi 24 mars 2011

Au Bahrein, grévistes et manifestants défient la répression


 
Les travailleurs du royaume du Bahreïn du golfe persique ont répondu à la répression du régime soutenu par les USA par une vague de grèves dans presque tous les secteurs de l’économie.

Bien que les dirigeants des syndicats n’aient pas officiellement appelé à la grève générale, on estime que 70% des travailleurs du Bahreïn sont en grève et des centaines d’entre eux se joignent aux manifestations qui ont lieu dans les rues de la capitale.

Le régime du roi Hamad al-Khalifa a fait face à de nombreuses manifestations contre sa direction autoritaire depuis février. Le roi a tenté de maintenir son régime par la force en publiant la semaine dernière un décret d’urgence instituant la loi martiale, et en donnant à la police et à l’armée l’autorisation de prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde du régime. Un couvre-feu qui commence à la tombée de la nuit et se termine à l’aube a été institué dans tout le Bahreïn.

Avec l’aide d’environ 1500 soldats et policiers envoyés par les monarchies voisines d’Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis (UAE) les forces de sécurité du Bahreïn ont déclenché une vague de répression contre les manifestants mercredi dernier.

Faisant usage des munitions de combat et avec le soutien de tanks et de véhicules blindés, la police et l’armée ont balayé les manifestants de la place Perle, le centre des manifestations de toutes ces dernières semaines dans la capitale de Manama. Au moins six personnes ont été tuées dans l’assaut et des centaines ont été blessées.

Les médias locales ont confirmé que les forces pro-monarchiques ont tué deux autres personnes depuis cet assaut, et les associations des droits de l’homme du Bahreïn ont affirmé que de nombreuses personnes avaient disparues, probablement kidnappées ou assassinées par le régime.

Les forces gouvernementales ont aussi attaqué des ambulances et des hôpitaux où l’on essayait de soigner les blessés. Une chaîne de télévision a montré des policiers qui tiraient des blessés hors des ambulances. Les forces pro-gouvernementales ont envahi l’hôpital de Salmaniya, ont arrêté 100 docteurs et les ont empêché de soigner les patients qui arrivaient de la place Perle.

Les forces de sécurité ont attaqué d’autre manifestants dans Manama et dans les quartiers environnants et, selon les témoins, les policiers et les voyous qui défendent le régime ont attaqué les gens et ont fait irruption dans les maisons de la classe laborieuse majoritairement shiite dans les banlieues. La monarchie al-Khalifa et ses forces de sécurité sont des musulmans sunnites tandis que la vaste majorité de la population est shiite. La discrimination sectaire que pratique le régime est la cause du haut niveau d’inégalité dont souffre le Bahreïn, et la famille royale et la petite élite qui l’entoure se sont enrichis spectaculairement grâce aux ressources en pétrole du pays.

La présence de forces venant des monarchies sunnites d’Arable Saoudite et des Emirats, combinée à la rhétorique enflammée du gouvernement qui met en garde contre "les gangs de Shiite" susceptibles d’attaquer des magasins sunnites, a exacerbé les tensions sectorielles dans le pays. Cependant les manifestations et les grèves ont transcendé les divisions religieuses avec les appels des travailleurs et des jeunes à l’unité de tous les habitants du Bahreïn contre la royauté.

Afin de parachever leur oeuvre d’intimidation des manifestants, les forces gouvernementales ont rasé le grand monument qui était au centre de la place Perle au bulldozer vendredi dernier. La place est actuellement occupée par les forces du régime, mais les manifestations continuent dans d’autres endroits de la ville.

La répression s’est poursuivie dimanche et 20 personnes ont été arrêtées pour avoir enfreint le couvre-feu y compris des docteurs qui soignaient des manifestants blessés.

La lutte sociale massive contre le gouvernement et pour un meilleur niveau de vie s’est étendue à presque tous les secteurs de l’économie. Les salariés du secteur de la construction, de la compagnie aérienne nationale "Gulf Air", de l’industrie énergétique et des services publics sont en grève.

Les employés en grève de la raffinerie d’état du Bahreïn, Barhain Petroleum Company, ont partiellement interrompu la production dimanche, ce qui ne manquera pas de consterner les pouvoirs impérialistes et les marchés financiers mondiaux. La raffinerie, qui peut produire jusqu’à 250 000 barils de pétrole brut par jour, tourne à seulement 10% de sa capacité, selon un porte-parole du syndicat.

Le Bahreïn est un centre financier majeur de la région du Golfe et les manifestations ont sérieusement perturbé le secteur. Des milliers de manifestants ont occupé de larges portions du district financier de Manama en élevant des barricades et en affrontant les forces de police. La bourse du Barhein n’a pas ouvert depuis le 16 mars.

La fédération générale des syndicats du Barhein (GFWTUB) a dit que les grèves continueraient jusqu’à ce que l’Arabie Saoudite et les Emirats se retirent du pays. Sayed Salman, le secrétaire général de la GFWTUB a dit au Wall Street Journal que son organisation ne voulait pas causer de dommage permanent à l’économie nationale, mais il a ajouté que la grève ne cesserait pas tant que les forces de sécurité tuaient des manifestants.

"Nous ne pouvons pas appeler nos gens à reprendre le travail"
a dit Salman au Journal. "Nous espérons que cela ne durera pas trop longtemps car nos travailleurs souffrent aussi mais il faut absolument que les milices et les forces étrangères quittent nos rues."

La fédération syndicale représente 60 syndicats dans le pays et a été un soutien loyal de la monarchie al-Khalifa. Comme les officiels du syndicat, le principal parti bourgeois d’opposition, al-Wafaq, cherche à en finir le plus vite possible avec les manifestations. Ce parti qui était représenté au parlement fantoche jusqu’à ce que ses députés soient forcés de démissionner il y a quelques semaines quand la police a attaqué des manifestants pacifiques, a signifié qu’il désirait reprendre les négociations avec la monarchie.

Al-Wefaq avait d’abord soutenu les pourparlers avec le fils du roi, le prince héritier Salman, mais il s’en était retiré par crainte de l’hostilité populaire à toute espèce de négociation avec le régime honni. Cependant, après la répression de la semaine dernière et l’arrestation de plusieurs membres de l’opposition, al-Wefaq a recommencé à promouvoir le dialogue.

"Nous pensons que le dialogue est la seule solution, mais tant que des troupes étrangères se trouvent sur notre sol, rien n’est pas possible"
a dit Jawad fairooz, un porte parole haut placé du parti. "Il faut que les troupes étrangères s’en aillent et que la milice dirigée par le gouvernement et le ministère de l’intérieur ainsi que l’armée du Barhein retournent dans leurs bases."

En échange, Fairooz a proposé de reprendre le contrôle des manifestations de masse. "Il faut parfois changer de tactique mais nous trouverons bien un moyen de protester."

Mais il n’est pas sûr que les responsables de al-Welfaq ou du syndicat contrôlent les manifestations et les grèves. Il semble plutôt que ces dirigeants, qui sont des associés fidèles de la monarchie depuis des dizaines d’années, aient du mal à faire face aux demandes de plus en plus grandes de la classe laborieuse. Au début des manifestations, le mois dernier, les manifestants demandaient la réforme du système politique, mais au fur et à mesure que de plus en plus de travailleurs entraient dans la lutte, l’humeur de la rue est devenue plus combative. Les slogans qui demandent l’abolition de la monarchie et une répartition plus équitable de la richesse pétrolière du pays sont désormais plus nombreux.

Le gouvernement des USA qui lance une guerre contre le régime libyen du colonel Kadhafi sous le prétexte des "droits de l’homme" continue de soutenir la dynastie al-Khalifa au Barhein.

Le secrétaire de la défense des USA Robert Gates est allé au Barhein il y a une semaine pour s’entretenir avec le roi Hamad et pendant cet entretien il félicita les al-Khalifa d’être des alliés des USA. Pour donner au régime du Barhein une excuse pour attaquer les manifestants, Gates, en surfant sur les préjugés sectaires, a dit au roi que le régime clérical shiite d’Iran allait profiter de l’agitation qui régnait au Barhein pour étendre son influence.

Washington compte sur les régimes du Barhein et d’Arabie Saoudite pour mettre fin aux manifestations et aux grèves avant que les intérêts des USA dans ces pays et dans toute la région ne soient menacés. La cinquième flotte de la marine étasunienne est stationnée au Barhein; c’est une base vitale qui appuie l’occupation de l’Irak et permet à Washington de maintenir la pression sur l’Iran. Comme la monarchie saoudienne, l’élite étasunienne est terrifiée à l’idée que le soulèvement populaire du Barhein s’étende à l’Arabie Saoudite - l’allié principal des USA dans le golfe persique et le plus grand exportateur mondial de pétrole - et spécialement aux puits de la partie orientale du pays dont la population est en majorité shiite.

Des manifestations ont eu lieu en Arabie Saoudite, au Kuwait et en Irak en solidarité avec le soulèvement du Barhein. Il y a eu aussi une manifestation de plus de 600 personnes à Londres en Angleterre dimanche dernier pour condamner la violence contre les manifestants de Manama.

700 personnes se sont réunies dans la ville de Mashhad en Arabie Saoudite, samedi, malgré l’interdiction absolue de manifester, pour protester contre la violence avec laquelle les forces du Barhein et de l’Arabie Saoudite avaient réprimé les manifestations.

Une manifestation moins importante a eu lieu dans la capitale saoudienne de Riyadh dimanche, pour exiger la relaxe des prisonniers politiques. Selon la BBC, la police anti-émeutes saoudienne a dispersé la manifestation et arrêté 12 manifestants. En réaction aux soulèvements dans tout le Moyen Orient et en Afrique du nord, la monarchie saoudienne a créé 60.000 postes supplémentaires dans ses forces de sécurité déjà démesurées, tout en essayant d’acheter l’adhésion de ses administrés en leur accordant une augmentation des allocations et du salaire minimum.

Les manifestations de masse continuent au Yémen où des milliers de membres des tribus ont rejoint les travailleurs et les jeunes dans la capitale, Sanaa, pour demander le départ du président, Ali Abdullah Saleh.

Les forces de sécurité de Saleh et les canailles qui défendent le régime ont tué 52 personnes pendant les manifestations de la semaine dernière. Les forces de répression qui avaient ciblé un large sit-in près de l’université de Sanaa, n’ont pas réussi à étouffer la protestation. Des foules estimées à plus de 100 000 personnes se sont rassemblées près de l’université de vendredi à dimanche en continuant de demander la démission de Saleh et une amélioration de leur qualité de la vie.

Devant la menace de guerre civile et voyant que, en dehors de la capitale, il perdait son autorité sur le pays, Saleh a essayé de faire des concessions à l’opposition. Le président qui est au pouvoir depuis 32 ans a renvoyé tout son cabinet dimanche. Cependant tous les ministres "renvoyés" doivent rester à leur poste jusqu’à ce qu’un nouveau cabinet soit formé, selon le porte parole du président Tareq al-Shami. Le procureur général du Yémen a aussi annoncé qu’une enquête complète sur le meurtre des manifestants serait diligentée.

Ces annonces ne tromperont personne. Les travailleurs yéménites savent que le modus operandi de Saleh est la répression brutale des opposants et aucun remaniement du régime n’apaisera leur colère.

Le Yémen est le pays arabe le plus pauvre et 40% de sa population survit avec moins de 2 dollars par jour. Le chômage est estimé à 35% de la force de travail. Le chiffre est encore plus élevé chez les jeunes travailleurs et les diplômés; plus de la moitié des jeunes entre 18 et 28 ans sont sans emploi, à ce que l’on croit.

Niall Green
22.03.11
Traduction : D. Muselet
Source: LGS

mercredi 23 mars 2011

En France, une nouvelle imposture


La nomination de l’ex-président de Colombie comme professeur de l’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Metz (ENIM) est un attentat à l’intelligence.


Comment a-t-il pu oublier de les informer que la Colombie vit depuis plus de 50 ans un conflit social, politique et armé dont est victime toute la population civile et que ce conflit est présenté comme un rapport de force entre des guérillas et l’Etat?

Que dans cette guerre civile non déclarée, qui a connu une recrudescence pendant le mandat d’Uribe, le crime d’Etat que constitue la disparition forcée perpétrée par la «démocratie» en Colombie a dépassé les chiffres dramatiques des dictatures des pays du Cône sud et que 250.000 disparus réclament justice? (1)

Il a également omis de mentionner que pendant son mandat Alvaro Uribe a ordonné au Département Administratif de Sécurité (DAS), les services secrets colombiens, d’espionner, de poursuivre, de menacer et de stigmatiser les défenseurs des Droits de l’Homme, les syndicalistes, les opposants politiques, les journalistes, la Cour suprême de justice colombienne et même de surveiller et de discréditer la Commission des Droits de l’Homme du Parlement Européen, le Haut-commissariat aux Droits de l’Homme des Nations-Unies et les ONG engagées dans la défense des Droits de l’Homme.

Face à cette scandaleuse désinformation, il me semble important que la jeunesse, qui forge le futur, connaisse les chiffres déchirants de la tragédie colombienne et la trajectoire de ce néfaste personnage.

Rien qu’au cours des 3 dernières années de son gouvernement, le terrorisme d’Etat a fait disparaître 38.255 personnes (chiffres de février 2010 de la médecine légale et de l’administration fiscale) et commis 173.183 homicides et 1.597 massacres (2).

10 millions d’hectares de terre ont été confisqués aux paysans et offerts aux multinationales, aux grands propriétaires terriens, et aux nouveaux caciques paramilitaires (3). Afin de terroriser la population, dans le but de la réduire au silence, de la rendre docile et de la déplacer, l’outil paramilitaire a eu recours aux viols massifs, aux démembrements à la tronçonneuse, à l’empalement et à d’autres horreurs terrifiantes (4).

Des fours crématoires et des élevages de caïmans font partie de l’outil paramilitaire de l’Etat et des multinationales... que les paramilitaires ont utilisés pour faire disparaître des milliers de personnes (5). La plus grande fosse commue de l’Amérique latine, qui contient plus de 2.000 cadavres, est située derrière le quartier militaire de l’armée dans la région de La Macarena. Une découverte dantesque, qui ne suscite pourtant pas encore le rejet international que mérite le gouvernement colombien (6).

Les violations des Droits de l’Homme s’aggravent dans ce qui est de toute évidence un pays occupé: en Colombie, 7 bases militaires américaines ont été installées, et l’Etat colombien a accordé aux marines une immunité totale pour tous les crimes qu’ils commettront en Colombie (7).

68% de la population de Colombie vit dans la pauvreté et l’indigence. La concentration de la richesse est scandaleuse: la Colombie occupe la 11è place parmi les pays présentant les plus grandes inégalités au monde (selon le coefficient de Gini qui mesure l’inégalité de la répartition des revenus), et c’est le pays le plus inégalitaire du continent américain. Selon les chiffres les plus cléments, il compte 8 millions d’indigents et 20 millions de pauvres (8).

Plus de 20.000 enfants de moins de 5 ans meurent chaque année de malnutrition aigue (chiffres de l’UNICEF); sur 100 mères enceintes déplacées, 80 décèdent de malnutrition chronique (9).

Le pays compte plus de 7.500 prisonniers politiques, dont nombre d’entre eux sont victimes de montages judiciaires, une pratique courante contre les personnes engagées dans les luttes sociales (10).

Il serait intéressant de connaître les conditions et le montant du contrat conclu entre Uribe et l’école française par l’intermédiaire du SENA (centre de formation colombien), ce qui a valu à l’ex-mandataire le titre d’ingénieur honoris causa et sa nomination au poste de professeur de l’ENIM et à Padilla d’obtenir la nationalité colombienne. (11)

Est-ce cet obscure et macabre personnage qui est imposé aujourd’hui comme professeur à la jeunesse française?

María Piedad Ossaba
Directrice de La Pluma (www.lapluma.net)
Agence Pueblos en Pie, France
20.03.11
Notes:
(1) http://www.rebelion.org/noticia.php...
(2) http://www.telesurtv.net/noticias/s...
(3) : http://www.movimientodevictimas.org...
(4) http://www.telesurtv.net/noticias/s...
(5)http://www.piedadcordoba.net/piedad...
http://www.elespectador.com/noticia...
http://www.kaosenlared.net/noticia/...
(6) http://www.publico.es/internacional... http://www.rebelion.org/noticia.php...
(7) http://www.rebelion.org/noticia.php...
(8) http://www.abpnoticias.com/index.ph...
(9) http://www.elcolombiano.com/BancoCo...
http://www.elcolombiano.com/BancoCo...
http://colombia.indymedia.org/news/...
http://alainet.org/active/33960&#9001 ;=es
(10) http://www.tlaxcala.es/detail_campa... http://www.lapluma.net/fr/index.php...
Traduit par Tania Bustos pour « Le gavroche », 18 mars 2011
Article originale en espagnol : La Pluma, 16 de mars 2011
Source: Le gavroche/LGS