mardi 31 mars 2009

Chronologie de la campagne "Palestine occupée - Dexia impliquée"

L'objectif de cette chronologie est de vous donner un aperçu des principaux résultats engrangés par la campagne "Palestine occupée – Dexia impliquée". Elle est régulièrement actualisée.

Si vous organisez des actions pour soutenir cette campagne, n’hésitez pas à nous le dire et à faire part de vos résultats à Mario.

mars 2009: Des centaines de cartes n° 2 nous sont rapportées. 176 cartes n° 1 sont livrées au siège de la Dexia. Plusieurs actions, telles que des soirées d'information, des stands, ... sont organisées à Anvers, Bruxelles, Louvain, Tubize, Liège, ...

31 mars 2009: Le BBTK-SETCa et ACV - Brussel-Halle-Vilvoorde intègrent la plate-forme. A ce jour, cette dernière regroupe 47 organisations.

24 mars 2009: Le groupe facebook de la campagne regroupe 663 membres et forme un "Crowd". Si nous intégrons 337 nouveaux membres, nous deviendrons une "Guilde". Alors, rejoignez-nous et invitez vos amis à faire de même!

24 mars 2009: Le syndicat flamand LBC, la Centrale Générale de la FGTB et Netwerk Vlaanderen intègrent la plate-forme. A ce jour, cette dernière regroupe 45 organisations. Il s'agit essentiellement de groupes de solidarité, d'ONG, de partis politiques, de syndicats et de communes.

16 au 20 mars 2009: Plus de cinquante activistes téléphonent au service des plaintes de Dexia. Lors de leur apel, ils dénoncent l'implication financière de Dexia dans la colonisation israélienne et exigent du groupe qu'il mette un terme immédiat à ces investissements dans les territoires occupés palestiniens.

10 mars 2009: A toutes les personnes qui envoient une carte de protestation au groupe Dexia, la banque répond par le biais d'un courrier dans lequel elle tente de se dédouaner. Pour réfuter chacun des arguments avancés, la plate-forme envoie un communiqué de presse aux médias belges. Dans ce document, la plate-forme révèle aussi l'octroi par Dexia Israël d'un prêt de 8.000.000 d'euros à la ville de Jérusalem. Le communiqué donne lieu à un article publié dans le journal Le Soir.

5 mars 2009: Tous les jours, des cartes de protestation parviennent au siège de la Dexia. Le groupe Dexia tente de se défendre et envoie à chaque protestataire une lettre de justification. Les arguments qu'il utilise pour se dédouaner de sa responsablité sont ceux avancés par Monsieur Pierre Mariani, l'administrateur délégué du groupe, dans une lettre datée du 19 novembre 2008. La reprise de ces arguments par le groupe prouve que Dexia n'envisage pas, dans l'immédiat, de changer son fusil d'épaule et de cesser de financer la colonisation israélienne des territoires occupés palestiniens.

4 mars 2009: A ce jour, 38 organisations ont adhéré à la plate-forme "Palestine occupée - Dexia impliquée". Il s'agit essentiellement de groupes de solidarité, de partis politiques et des communes.

3 mars 2009: La commune de Ittre vote une motion demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

3 mars 2009: Lommel est la première commune néerlandophone a voté une motion demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

2 mars 2009: La commune de Sambreville vote une motion demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

25 février 2009: Al Jazeera diffuse une reportage sur la campagne Dexia.

20 février 2009: La province de Namur vote une motion demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

19 février 2009: Le Holding Communal regroupe toutes les communes de notre pays actionnaires de la Dexia. Depuis quelques semaines, il subit la pression de certains de ces membres qui ont adhéré à la plate-forme et qui ont voté une motion demandant explicitement à Dexia de cesser de financer la colonisation israélienne des territoires occupés palestiniens. Confronté à cette situation, le Holding envoie une lettre à Dexia. Au même moment, le groupe fait parvenir des courriers à diverses administrations pour minimiser l'ampleur et l'impact de ses investissements.

18 février 2009: La commune de Lessines vote une motion demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

16 février 2009: La commune de Pont-à-Celles vote une motion demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

16 février 2009: La commune de Saint-Josse-ten-Noode vote une motion demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens. La conseillère communale Anne-Sylvie Mouzon (PS), explique que le Holding dont elle vice-présidente a “fait ce qu'il fallait”. Le débat a été filmé. Vous pouvez le regarder ici.

14 février 2009: Une première action est organisée devant une agence de la Dexia à Anvers.

11 février 2009: La campagne Dexia est mentionnée dans un article concernant des entreprises françaises qui profitent de la colonisation israélienne pour faire des affaires.

9 février 2009: La commune de Thuin vote une motion demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

4 février 2009: Au sein de la Commission des Relations Extérieures, Monsieur Van der Maelen adresse une question au ministre Karel De Gucht concernant le financement par Dexia de colonies israéliennes. Messieurs De Gucht et Van der Maelen s'interrogent sur la date à laquelle des crédits ont été alloués. Avant ou après 2001? En réalité, cette discussion n'a pas lieu d'être puisque comme l'a reconnu Mr David Kapah, lors de son audition devant le parlement israélien en 2007, les prêts ont été octroyés en 2005, soit +/- 4 ans après que Dexia SA ait pris le contrôle de Dexia Israël.

3 février 2009: A ce jour, 28 organisations ont adhéré à la plate-forme "Palestine occupée - Dexia impliquée". Il s'agit essentiellement de groupes de solidarité, de partis politiques et de communes.

31 janvier 2009: Le groupe intal-Bruxelles-Palestine donne le coup d'envoi de la campagne lors d'une soirée d'information sur Dexia Israël. 300 personnes assistent à cet événement. Elles emportent 1.700 flyers et cartes postales.

30 janvier 2009: Le matériel de la campagne à savoir des flyers, et des cartes postales (carte 1, carte 2) est prêt. Le choix du logo est arrêté. Les affiches partent à l'impression.

30 janvier 2009: La délégation BBTK (SETCA) de Dexia adresse une lettre ouverte au Conseil d’Administration et au Comité de Direction du groupe Dexia.

29 janvier 2009: La commune de Herstal vote une motion demandant aux organes des institutions bancaires belges de garantir le respect du droit international et de l'éthique dans le cadre de leurs opérations financières.

29 janvier 2009: La commune de Couvin vote une motion (1-2) demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

27 janvier 2009: Dans un article publié dans MO*, "Hoe zien wij Gaza", le Professeur Rudy Doom fait référence à la campagne Dexia.

27 janvier 2009: La commune de Momignies vote une motion (1-2) demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

26 janvier 2009: La commune de Chapelle-lez-Herlaimont vote une motion (1-2) demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

26 janvier 2009: La commune de Mouscron vote une motion demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

22 janvier 2009: La commune de Molembeek vote une motion demandant à Dexia de faire la lumière sur ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

21 janvier 2009: Au Parlement Bruxellois, Mr Mohammadi Chadid pose une question à Mr. Vanhengel, ministre en charge des finances, du budget, de la fonction publique, des relations extérieures et de l'informatique.

20 janvier 2009: La commune de Ottignies-Louvain-la-Neuve vote une motion demandant à Dexia de faire la lumière sur ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

19 janvier 2009: Omar Barghouti, un des membres fondateurs de la campagne BDS en Palestine (Boycott, Desinvestment en Sanctions against Israël) adresse un message de soutien à la campagne Dexia.

19 janvier 2009: La commune de Vielsalm vote une motion (1-2) demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

19 janvier 2009: La commune de Floreffe vote une motion (1-2-3) demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

19 janvier 2009: La commune de Ciney vote une motion demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

14 janvier 2009: Une carte blanche publiée dans De Morgen fait référence à la campagne Dexia. Sur Radio1, dans l'émission de ochtend, Mario Franssen, porte-parole de la campagne en explique les tenants et les aboutissants.

14 janvier 2009: Au Parlement flamand, plusieurs questions sont posées à Monsieur Kris Peeters. Ce dernier avoue être mal à l’aise car insuffisant informé. Il dispose uniquement d'informations fournies par Dexia. Un article paraît dans le magazine MO*.

14 janvier 2009: Le conseil communal de Schaerbeek demande des explications sur les investissements de Dexia dans les territoires occupés palestiniens à M. Dehaene (président du Conseil d’Administration de Dexia) et M. Vermeiren (Président du Holding Communal). Le Holding Communal représente et regroupe les communes belges détentrices d'actions « Dexia ». Consultez cette liste pour connaître le nombre d'actions que possède votre commune.

13 janvier 2009: Lors d'une session du Parlement wallon, plusieurs questions sont posées au Ministre de l’Economie Jean-Claude Marcourt. La presse s'en fait l'écho.

8 janvier 2009: La plate-forme "Palestine occupée - Dexia impliquée" est opérationnelle. Les organisations, les communes, ... peuvent y adhérer. A dater de ce jour, le groupe de travail et la campagne qu'il a initiée portent le même nom.

22 décembre 2008: La commune de Viroinval vote une motion demandant à Dexia de couper ses liens avec les territoires occupés palestiniens.

3 décembre 2008: Messieurs De Vriendt, Brotcorne et Jambon adressent chacun une question parlementaire aux ministres Didier Reynders et Karel De Gucht. Celles-ci concernent le financement par Dexia de colonies israéliennes.

19 novembre 2008: L'administrateur délégué du Groupe Dexia, Monsieur Mariani répond à la lettre que lui a adressée le groupe de travail. Il confirme le financement par Dexia de colonies israéliennes situées dans les territoires occupés palestiniens.

12 novembre 2008: Une première action d'information du personnel de la Dexia est organisée Place Rogier à Bruxelles.

8 novembre 2008: Dans Le Soir, Baudouin Loos publie un article dévoilant l'implication de Dexia dans la colonisation des territoires occupés palestiniens. Il fait état des preuves transmises au groupe de travail le 28 octobre.

28 octobre 2008: The Coalition of Women for Peace, une organisation israélienne envoie deux mails au groupe de travail qui prouvent l'implication de Dexia dans la colonisation des territoires occupés palestiniens. Cette association gère entre autres le site www.whoprofits.org.

Les deux mails contiennent des documents publiés sur le site de la Knesseth, le parlement israélien.

Le premier document (en hébreu) prouve qu'en 2003, Dexia a accordé un prêt à la colonie de Ma'ale Efrayim. Ce prêt a été concédé pour une période de 12 ans.

Le second document reprend les déclarations de Monsieur David Kapah, le directeur de Dexia Israël. (19 juni 2007) Il reconnaît qu'entre 2005 et 2007, «sa banque» a octroyé des prêts à 7 colonies (Alfei Menasheh, Elkana, Beit-El, Ariel, Beit Aryeh, Givat Zeev en Kedumim) et 3 régions de Cisjordanie (la vallée du Jourdain, la région de Hébron et de Samarie).

28 octobre 2008: La crise financière éclate. Les autorités belges investissent lourdement pour sauver Dexia qui annonce une restructuration. Le groupe de travail envoie une lettre au nouveau président du Conseil d’administration (M. Dehaene) et au nouvel administrateur délégué (M. Mariani) pour leur demander des explications sur les investissements de Dexia dans les territoires occupés palestiniens.

16 novembre 2007: Porté par l'association COBI, le "groupe de travail Dexia" se réunit pour la première fois. Il cherche à prouver l'implication de Dexia dans le financement de la colonisation des territoires occupés palestiniens. Dans les jours qui suivent diverses associations (ABP, CODIP, MCP, intal, Vrede et VPK) rejoignent le groupe de travail.

15 avril 2001: CODIP adresse une lettre au Conseil d’Administration de Dexia concernant la participation de Dexia dans la banque Otzar Hashilton Hamekomi.

1er janvier 2001: La banque Otzar Hashilton Hamekomi (OSM) dont Dexia possède 45,3% du capital et 60,7% des droits de vote est totalement consolidée. Cfr: http://www.dexia.com/f/docs/fr_0502rapports_ab/fr_0502rapporta09.pdf

Aujourd’hui le Groupe Dexia possède 65.31% du capital de la banque, 65.99% des droits de vote et 66.67% des droits de décision (nomination des directeurs). Cfr: http://duns100.dundb.co.il/2008/600057228/index.asp

Novembre 1999: La filiale de Dexia, Dexia Crédit Local acquiert 9% des parts de la banque Otzar Hashilton Hamekomi. Cfr: http://www.dexia.jobs/FR/whoweare/Pages/History.aspx

1953: La banque israélienne Otzar Hashilton Hamekomi, aujourd’hui Dexia Israël Public Finance Ltd est fondée. Cfr: http://duns100.dundb.co.il/2008/600057228/index.asp

lundi 30 mars 2009

Appel pour le retrait du Hamas de la liste européenne des organisations terroristes

Bruxelles, 1er février 2009

A l’occasion des élections européennes de juin 2009, nous adressons un appel urgent à tous les candidats aux 736 sièges du Parlement européen.

Nous leur demandons de s’engager à obtenir le retrait immédiat et inconditionnel du Hamas et de toutes les organisations de libération palestiniennes de la liste européenne des organisations terroristes.

Nous demandons que l’Union européenne reconnaisse le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Cela implique la reconnaissance du Hamas par l’Union européenne comme un mouvement légitime de libération nationale.

Cliquez ici pour signer



Nadine Rosa-Rosso est l’initiatrice de l’appel européen, lancé à Bruxelles le 1er février 2009, pour le retrait du Hamas de la liste européenne des organisations terroristes. Lire plus sur ses motivations pour l’appel (voir interview par Nicolas Lalande).read more


lundi 23 mars 2009

Le crime occidental


De la responsabilité de l’Occident dans le conflit israélo-palestinien.

Le crime occidental dont parle Viviane Forrester est au moins double : crime envers les Juifs, et crime de s’être déchargé de ce crime sur d’autres, les Arabes de Palestine, devenus les Palestiniens. Ce livre simple et bien écrit empoigne une question cruciale, la plupart du temps escamotée, lorsqu’il est question du conflit israélo-palestinien, à savoir la part que l’Occident y a prise et le rôle qu’il y joue encore, ne serait-ce qu’en prétendant se placer comme arbitre neutre face à un problème qui ne le regarderait pas. Or, dans cette histoire, la part de l’Occident est directe, décisive, immense, écrasante. Tellement écrasante, à vrai dire, que nous rechignons à l’admettre.

Admettre cette responsabilité, pourtant, aiderait les adversaires israéliens et palestiniens à se reconnaître une sorte de fraternité entre victimes. S’ils se percevaient tous deux comme victimes de l’Occident, il leur serait sans doute plus facile de se parler. Cette reconnaissance ne constitue évidemment pas la clé magique d’une solution. En tout état de cause, les négociations susceptibles d’aboutir à une paix équitable et acceptable pour les deux parties seront dures et nécessiteront, de part et d’autre, des sacrifices difficiles. Le livre ne dit pas en quoi ces sacrifices pourraient consister, il n’offre délibérément aucune piste concrète de solution. Il pose ce qu’on pourrait appeler un préalable idéologique à toute possibilité de négociation directe fructueuse, hors de la tutelle occidentale.

Les éléments du dossier présenté par Viviane Forrester sont connus, ou du moins disponibles, et l’auteure ne dévoile pas de nouvelles sources. Elle puise à des travaux et à des témoignages existants, dont les références, malheureusement trop sommaires, figurent en notes placées à la fin du volume. Il est dommage en effet que ces renvois ne précisent pas les pages des livres cités, précision qui n’aurait en rien alourdi l’ouvrage et beaucoup accru sa crédibilité. Cette réserve technique étant faite, les propos de Forrester semblent honnêtement étayés. Elle fait de la bonne vulgarisation, et celle-ci est très nécessaire, indispensable même, concernant un conflit dont l’actualité tristement spectaculaire tend toujours à cacher les racines. Or, ces racines plongent en Europe, dans l’antijudaïsme séculaire de la Chrétienté et dans l’antisémitisme moderne qui a trouvé son point culminant avec les camps de la mort nazis.

Le mot « nazi », ici, est très commode. Il permet aux « non nazis » de se dédouaner de ce qu’Hitler et sa clique ont perpétré. Forrester insiste courageusement sur la scandaleuse tolérance, voire la complicité, dont les dirigeants de l’Allemagne nazie ont bénéficié de la part des autres puissances occidentales, États-Unis compris, avant, pendant et même après la Seconde guerre mondiale. Elle indique comment cette attitude antisémite « générale », en Occident, « partagée » par les adversaires du troisième Reich, s’inscrit dans une longue tradition d’extermination, de massacre, d’oppression, de racisme et de mépris envers tout ce qui n’est pas blanc et chrétien (amérindiens, aborigènes, noirs, basanés de toutes teintes, tziganes, etc.). Il n’est donc pas étonnant que l’Occident ait cru pouvoir se débarrasser de la « question juive » en la déportant vers la Palestine, quitte à faire peser le fardeau de sa faute inexpiable sur un peuple « colonial », jugé peu digne de considération, et qui n’y était pour rien.

Thierry Hentsch

samedi 21 mars 2009

Analyse de la liste PS aux régionales bruxelloises

Une partie de la liste PS pour les élections régionales bruxelloises a été rendue publique ce dimanche matin 1, soit 59 places effectives sur 72 et 7 suppléantes sur 16. Le reste devrait "laisser une marge de manoeuvre en direction de candidats d’ouverture" selon l’agence Belga... La suite sur http://suffrage-universel.be/be/beel09-bxl-ps.htm

Mon alliance avec un « disciple du Hezbollah »

Dans le Journal du Mardi de mars 2009, Manu Abramowicz s’attaque à un thème essentiel sous le titre accrocheur : « Marteau, faucille et croissant ? ». Vu l’importance et la difficulté du sujet, on s’attendrait à une analyse sérieuse des courants politiques qu’il entend combattre. Mais dès qu’on lit les mots « Dyab Abou Jahjah, un disciple du Hezbollah », on peut savoir qu’il ne s’agit en rien d’une analyse politique sérieuse de quoi que ce soit.

Le « poids des mots » prend ici toute son importance : entre Dyab et le Hezbollah, un seul mot : « disciple ». Le disciple, c’est la « personne qui adhère aux doctrines de son maître ». Cette association de mots suggère tout de suite une image, Dyab suspendu aux lèvres de Nasrallah. Et il va de soi que ces deux mots collés au nom de Dyab suffisent à classer le personnage. C’est ainsi qu’on fait chez nous de la politique à propos de questions fondamentales.

Avant de les aborder, rappelons que la campagne de diabolisation de Dyab Abou Jahjah s’est étalée sur cinq ans durant lesquels à peu près tout ce qu’on peut inventer pour casser quelqu’un l’a été : trafic de diamants, consultation de sites pornographiques, incitation à l’émeute, constitution de milice privée… Ces mensonges policiers et médiatiques sont la base d’un dossier judiciaire de 3000 pages que la justice a dû éplucher une à une lors d’un procès, aux frais du contribuable. De ces 3000 pages, il n’est pas resté une lettre. Dyab Abou Jahjah et son co-inculpé, Ahmed Azzouz, ont été acquittés sur toute la ligne. Mais toutes les conditions ont ainsi été créées pour que les positions politiques réelles de Dyab ne soient ni étudiées ni discutées sérieusement. En Flandre, de nombreux intellectuels se sont néanmoins dressés pour aider au rétablissement de la vérité. Mais du côté francophone, à l’exception notable de l’avocat Jean-Marie Dermagne, le silence consentant était plutôt de rigueur. Après l’acquittement, il reste un mensonge à répandre, c’est le mythe d’Abou Jahjah, islamiste fondamentaliste.

Si le marxisme et le libre-examen devaient avoir quelque chose en commun, ce serait de chercher la vérité dans les faits. Un journaliste consciencieux aurait pris la peine de consulter le blog d’Abou Jahjah afin de connaître son positionnement politique exact au sein de la résistance libanaise.

Mais il y a là sans doute un premier hic. Qui s’intéresse vraiment à la résistance libanaise ici en Europe ? Pour tous les peuples qui luttent contre le colonialisme, « néo » ou classique, la résistance libanaise est une source d’inspiration. Pourquoi ?

La première raison, c’est que c’est la première résistance qui a battu Israël sur le terrain et l’a empêché de conquérir un nouveau territoire arabe, à savoir le Liban. Cette résistance est en effet née de la défaite de 1982, quand la si bien nommée invasion israélienne « Paix en Galilée » a permis à l’armée d’occupation de semer la désolation jusque dans la capitale libanaise. Ressuscitée littéralement de ses cendres, la résistance libanaise a mis 18 ans à se reconstituer jusqu’à pouvoir chasser l’occupant du sud du pays et rétablir l’indépendance nationale du Liban. Mais qui se soucie vraiment dans notre « gauche » de l’intégrité territoriale et de l’indépendance nationale d’un pays arabe ? Cette même résistance a pour la deuxième fois infligé une défaite militaire et politique cuisante à l’Etat sioniste lors de la nouvelle invasion de l’été 2006. Depuis la constitution de l’Etat sioniste, ce sont les premières victoires militaires d’une nation arabe contre cette politique constante de colonisation et d’expansion qui ont réduit la nation et les territoires palestiniens à de simples bantoustans. Après les trahisons et les capitulations successives des Etats arabes (et musulmans), la résistance libanaise a mis fin à la succession ininterrompue des victoires sionistes. C’est parce que la résistance libanaise a vaincu l’occupant militairement et politiquement qu’elle est reconnue dans cette immense partie du monde toujours dominée par le « néo »-colonialisme. Mais ici en Europe, on préfère s’indigner sur les « excès » d’Israël, sur ses « réactions disproportionnées » plutôt que de soutenir les seuls qui lui infligent les défaites.

La deuxième raison qui fait de la résistance libanaise une source d’inspiration pour de nombreux peuples, c’est le caractère extraordinairement diversifié et unifié de ses rangs. Au forum de Beyrouth où j’ai fait l’intervention « La gauche et l’appui à la résistance », Angeles Maestro, communiste espagnole, décrivait ainsi les caractéristiques de la résistance libanaise : "Un processus semblable (à celui en Palestine) s’est développé depuis quelques années au Liban, où des avancées électorales, des accords politiques et une collaboration armée se sont cristallisés et ont été mis en évidence de manière nette pendant l'attaque d'Israël à l'été 2006 et sa défaite postérieure. La direction politique et militaire de Hezbollah est indiscutable mais dans le cadre de ce qui est connu comme « Front de la Résistance », coalition qui intègre Amal, le Parti Communiste du Liban (PCL), des mouvements pro-syriens, comme Marada, auquel appartient le député Soleimán Frangié, le Courant Patriotique Libre du général Michel Aoun, majoritaire dans la communauté chrétienne, ainsi que toute une série de forces nationalistes et progressistes, comme le Mouvement du Peuple de Najah Wakim ou la Troisième Force, de l’ancien premier-ministre Selim Hoss."

Le Hezbollah a remplacé le Parti Communiste libanais à la tête de la résistance, c’est un fait. Les militants de gauche, et en particulier les communistes, partout dans le monde, feraient beaucoup mieux de se pencher sur les raisons de leur perte d’influence dans le peuple plutôt que de se lamenter sur la montée des autres forces politiques. Ce qui est indiscutable au Liban, c’est que ce sont les forces qui restent les plus déterminées, intransigeantes et intègres dans la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme, celles qui prennent de la manière la plus résolue en main toutes les questions vitales pour les couches populaires (enseignement, santé, sécurité nationale, etc.) qui gagnent leur confiance. Cette confiance s’est exprimée dans les urnes, tant au Liban qu’en Palestine.

Venons-en maintenant à notre « disciple du Hezbollah ». Naturellement, comme tout citoyen libanais qui se respecte, Dyab Abou Jahjah fait partie de la résistance libanaise et il entretient dans ce cadre des relations militantes avec le Hezbollah. Il n’en est cependant ni membre, ni disciple. Le procédé journalistique de Manu Abramowicz qui consiste à réduire la résistance libanaise aux « disciples du Hezbollah » produit un effet totalement pervers, qui est de nier toutes les autres forces politiques actives dans cette résistance, et en particulier les forces laïques et de gauche qu’il prétend défendre.

Dans toutes ses interventions publiques, Dyab se définit comme un nationaliste arabe et un socialiste anti-impérialiste. Il suffit de lire quelques articles sur http://www.aboujahjah.com/, pour connaître la vision de Dyab Abou Jahjah sur la résistance mondiale et nationale à créer et sur la société à conquérir. « La lutte pour l’émancipation nationale et pour la justice sociale, contre le néo-colonialisme et les valets locaux de la classe dirigeante, est le dénominateur commun qui peut être le début d’une dynamique de mobilisation politique réelle, par les gens du peuple à la base et des segments révolutionnaires de la classe moyenne, indispensables pour construire un projet de société basé sur le socialisme et la démocratie populaire et préservant la fierté nationale et culturelle. C’est l’essence du nasserisme, c’est aussi l’essence de ce que Chavez et Morales prouvent aujourd’hui en Amérique Latine. Le nationalisme et le socialisme dans un esprit de solidarité internationale : ceci est la réponse à l’exploitation et à la terreur globalisée. » (From Nasser to Chavez and Morales).

« Les démocrates nationaux sont pour un monde arabe qui doit renaître, libéré du néo-colonialisme américain et occidental et du racisme (et pour cela aussi du sionisme). Les démocrates nationaux veulent la défaite des Etats-Unis en Irak, du sionisme en Palestine et des régimes arabes partout, mais ils veulent aussi la défaite du salafisme dans sa forme extrémiste (Al qaida) ou dans sa forme modérée et potentiellement oppressive… Seul un nouveau parti national arabe peut mobiliser la majorité silencieuse et lui donner un meilleur choix que celui à faire entre les faux prophètes des Frères musulmans et les pharaons tyranniques. Cette option combine la démocratie, les droits humains et le développement avec la loyauté à notre civilisation et ses valeurs arabo-islamiques. Elle soutient en même temps la résistance dans toutes ses formes, contre l’oppression interne et externe. » (The Arab People between Fake Prophets and Tyrannical Pharos).

Comprendre les divers courants politiques à l’œuvre au Moyen Orient, comme dans d’autres parties du monde, suppose un certain effort intellectuel. Il consiste en premier lieu à appréhender les réalités du monde telles qu’elles se présentent effectivement sur place et non à partir de schémas simplistes, imposés par la lecture occidentale du monde et empoisonnés par le modèle américain du « choc des civilisations ».

C’est sous l’influence de ce modèle qu’a été inventée la nouvelle étiquette à la mode : « l’islamo-gauchisme ». C’est seulement quand on se situe dans la logique du « choc des civilisations » qu’on peut plaquer cette étiquette sur quiconque prend le parti des résistances au colonialisme et à l’impérialisme. Pour ma part, cette étiquette me laisse assez indifférente. Je ne me situe pas dans cette logique. Ce genre d’appellation renvoie plutôt à l’accusation de « judéo-bolchévisme », invention des nazis pour tenter de discréditer les communistes qui donnaient leur vie en cachant des enfants juifs. Si on entend par là l’alliance des communistes avec les plus persécutés, dans un contexte mondial précis, il ne s’agit pas d’une insulte mais d’un compliment.

Comme le rappelle le Journal du Mardi, j’ai effectivement été « l’artisan d’un cartel électoral en 2003 entre le PTB et la Ligue arabe européenne ». Les opposants à mes prises de position sur le foulard ou sur la résistance libanaise et palestinienne reviennent régulièrement sur cet épisode électoral. Il me semble donc utile de rappeler ici les enjeux de cette alliance.

Cette alliance n’était pas un gadget électoral mais bien au contraire le résultat d’une analyse du monde qui me semble toujours d’actualité, sinon plus. Elle peut se résumer en quelques phrases. Les guerres menées par les Etats-Unis et leurs alliés depuis l’implosion du camp socialiste en 1989 (première guerre du Golfe en 1991, Afghanistan en 2001 et deuxième guerre contre l’Irak de 2003) font partie d’une seule et même guerre menée contre tous les peuples de cette terre. Elle prend des formes différentes selon les endroits du monde où elle se mène : agressions militaires, embargos et blocus, étranglement par la dette et les diktats du FMI, dérégulation totale de toutes les formes de protection du droit au travail, à la santé, fermetures massives d’entreprises et licenciements… Mais fondamentalement il s’agit de la même guerre. L’alliance entre le PTB et l’AEL (rejointe à l’époque par pas mal de progressistes en Flandre) n’était d’ailleurs pas la seule de cette fameuse campagne de 2003. Lors des mêmes élections, le PTB s’est désisté dans la région bruxelloise pour y soutenir la liste « Maria », composée majoritairement des ouvriers et employés licenciés par la faillite de la compagnie nationale d’aviation, la SABENA, un cataclysme dans la vie économique et sociale de la Belgique. La perspective était claire : prendre le temps de construire un grand front populaire contre toutes les formes de la guerre impérialiste, unissant les résistances au sein des métropoles occidentales et celles des peuples dans le monde.

Les communistes sont internationalistes ou ils n’ont plus de raison d’être. Et c’est précisément à l’heure où chacun a le mot « mondialisation » à la bouche que nombre d’entre eux se replient sur une conception locale et étroite de l’action et de la pensée militantes. Il s’agit de plaire à « sa » classe ouvrière ou plus précisément à cette partie de la classe ouvrière angoissée par les ravages de la crise qui minent peu à peu tous les acquis sociaux. Les travailleurs d’Opel Anvers, site menacé de fermeture à court terme, se trouveraient aujourd’hui dans un meilleur rapport de forces si le front embryonnaire avait été consolidé, entre les travailleurs licenciés de la SABENA, ceux de Clabecq, les sans-papiers, les jeunes des quartiers, les sans-abri, les altermondialistes, les opposants aux guerres made in USA et les dizaines de milliers de personnes solidaires avec la Palestine. Plutôt que de se retrouver en tête-à-tête avec Kris Peeters, Angela Merkel et la direction américaine de General Motors.

L’abandon de l’internationalisme produit des choses bizarres. J’étais ainsi sidérée d’apprendre il y a peu que, pour obtenir le droit de se présenter aux élections, le PTB n’a plus recueilli ses parrains parmi les électeurs mais bien auprès d’un député de la liste Dedecker, qui ne cache pas son ambition de gouverner un jour avec le Vlaams Belang. L’interview de Peter Mertens dans Knack aurait pourtant dû me préparer à la nouvelle. Le président du PTB nous y apprend comment la gauche « liquide les tabous », selon une expression chère au Journal du Mardi : « La gauche a commis des erreurs. Nous aussi, nous aurions dû mener le débat avec la droite de manière plus soutenue et mieux. Il ne fait pas de doute que le succès de la droite est lié à l’exaspération de beaucoup de gens qui ont vu leurs quartiers se dégrader sérieusement au cours des dernières décennies. Des gens qui ne peuvent pas quitter le quartier parce que leur pension est insuffisante, mais qui ne s’y sentent plus chez eux parce que de nombreux immigrés sont venus y habiter. Nous aussi, au PTB, nous avons sous-estimé cette évolution, et nous portons donc aussi notre part de responsabilité ». Du rejet de la liste Resist à la constatation que les quartiers « se dégradent » avec l’arrivée de « nombreux immigrés » et que « les gens » ne s’y sentent plus chez eux, le pas est franchi dans l’allégresse. Les « gens » (entendez les travailleurs pauvres « de souche ») ne se sentent plus « chez eux » quand ils cohabitent avec les travailleurs pauvres issus du Tiers Monde ou de cette partie de l’Europe qui a conquis en 1989 la liberté d’exploiter.

Je poursuis quant à moi le combat entamé. De mon intervention à Beyrouth, le Journal du Mardi ne publie que l’extrait où je reconnais que mes « convictions politiques sont minoritaires dans la gauche ». J’étais peut-être alors trop pessimiste. Mon intervention, envoyée à une vingtaine de personnes, a fait le tour du monde. Elle a été traduite en néerlandais, anglais, espagnol, italien, arabe, portugais, grec et roumain. J’ai reçu des dizaines de réactions provenant de tous les continents, de l’Inde au Canada, du Sénégal au Venezuela. Elle est répertoriée sur des dizaines de liens Internet. Je ne peux qu’en déduire que ce débat est fondamental et que l’aspiration de nombreux militants dans le monde est de travailler à ce front, quelles que soient les difficultés qui nous attendent.

Nadine Rosa-Rosso

Savoir entretenir la confusion

"...pour moi l'antisémitisme et l'antisionisme ne sont pas des opinions, ce n'est pas un objet de débat, c'est un délit et il faut le sanctionner."

Viviane Teitelbaum (MR)

vendredi 20 mars 2009

Une bien étrange léthargie...

Comment se fait-il que, dans un système qui frustre et déçoit tant de monde, aucun mouvement d'ampleur ne prétende incarner un renversement total des valeurs ?

Chaque époque, du point de vue de ses contemporains, est vécue comme très particulière : ce phénomène est dû à l'absence (bien logique) de recul, à la conscience aiguë de ce qui disparaît, et à l'impossibilité de concevoir ce qui va apparaître. D'où ce sentiment, largement répandu, de vivre une époque troublée, chaotique, angoissante. Ce sentiment n'est pas nécessairement infondé, bien entendu (l'histoire des hommes n'est pas un long fleuve tranquille), mais il est bon de se rappeler qu'il est de tous temps : le diagnostic de la perte des repères, des défis nouveaux, de la barbarie à nos trousses et des menaces de déshumanisation sont des classiques, qui ont ce charme surprenant qu'ils continuent à produire leurs mêmes effets d'angoisse, avec autant de force, génération après génération.

Il n'en demeure pas moins que nous vivons une crise économique majeure. On l'a assez dit et répété. On peut, c'est entendu, relativiser cette crise, la replacer dans une perspective historique, accuser une certaine presse de noircir le tableau, mettre en doute les indicatifs souvent utilisés pour la diagnostiquer; reste que la situation économique ne satisfait personne, et que chacun voudrait sortir de cette mauvaise passe.

Malgré cela, et c'est très étonnant, jamais les mouvements de contestation radicale n'ont été aussi discrets.

Depuis des siècles, les pouvoirs dominants ont pourtant été confrontés à des forces d'opposition extrêmement intense, qui rejetaient en bloc les valeurs en vigueur. On a en mémoire les Brigades rouges, la bande à Baader, les colonels en Grèce, la tentative de putsch militaire en Espagne en 1981; autant de mouvements plus ou moins structurés, plus ou moins importants, qui refusaient l'ordre établi, et prétendaient y mettre un terme radical par la force. D'autres mouvements, comme les hippies, les soixante-huitards ou les punks, tentèrent, chacun à leur manière, avec plus ou moins de sympathie et de succès, de mettre à bas les fondements de la société. Au XIXe siècle en Russie, le mouvement nihiliste assassinait, détruisait, agressait parce qu'il ne croyait en rien.

Comment se fait-il alors qu'aucun équivalent de ce genre de mouvement ne prospère aujourd'hui, à l'heure où tant de monde se dit insatisfait ? On ne peut que se réjouir, évidemment, de l'absence de violence, mais comment cela se fait-il ? Comment se fait-il que, dans un système qui frustre et déçoit tant de monde, aucun mouvement d'ampleur ne prétende incarner un renversement total des valeurs ? Pourquoi, par exemple, le dégoût et la rage d'être licencié mènent-ils plus souvent à la dépression qu'à la hargne politique ? N'est-il pas étonnant qu'en ces temps de crise, tant de monde donne l'impression de vouloir s'intégrer à tout prix au système, plutôt que de tenter de s'en extraire ?

Nous sommes d'accord, souvent on n'a pas le choix : des traites à payer, des emprunts à rembourser, des responsabilités à assumer... mais le simple fait de croire qu'on n'a pas le choix n'est-il pas la marque suprême de l'asservissement à des valeurs qui, pourtant, sont en train de montrer leurs faiblesses ? Chat échaudé craint l'eau froide, il est vrai, et le fiasco des expériences communistes nous a fait passer l'envie, pour de nombreuses années encore, de tenter des expériences collectives radicales nouvelles. Mais ceci n'explique pas pourquoi nous connaissons une telle léthargie du corps collectif.

Que l'on ne se méprenne pas : nous vivons dans une démocratie saine et vivante, et les voix discordantes ont plus que jamais droit au chapitre. Il existe des mouvements syndicaux, associatifs, politiques, qui s'expriment, qui ont prise sur les événements, qui sont respectés, écoutés, institutionnalisés. Mais la plupart d'entre eux s'inscrivent dans une logique de contre-pouvoir, plus que de contestation radicale. Aucun d'entre eux ne fait véritablement peur à ce qu'il est convenu d'appeler les "instances dirigeantes" - lesquelles, de toute manière, ne sont plus aussi clairement identifiables que naguère.

Demeure donc la question, implacable : pourquoi aussi peu d'imagination ? Pourquoi aussi peu de tentatives de lancer de nouveaux projets de société ? Parce qu'on sait à l'avance à quoi mènent les projets collectifs : restriction des libertés, dictature de la collectivité au détriment des individualités ? Parce que notre système, quoi qu'on en dise, plaît et convient, si bien que l'on ne saurait envisager pour autre horizon que son rétablissement, seul gage de jours meilleurs ? Parce que nous sommes collectivement anesthésiés, aveuglés par un certain confort matériel qui nous empêche d'envisager d'autres voies que celle que nous sommes en train de suivre ? Difficile à dire. Le fait est, en tout cas, qu'un système qui déplaît tant, et qui pourtant suscite aussi peu de contestation radicale, a de quoi surprendre...

Gilles Dal

jeudi 19 mars 2009

Trois choses que je sais des Palestiniens...


" (...) je n’ai eu de cesse de me rappeler cette demande explicite de mes amis palestiniens lorsque je les interrogeais sur ce que nous pouvions faire en pratique, chacun là où nous sommes, pour les aider dans la reconnaissance de leur juste résistance et pour les soutenir dans la création de leur Etat. Trois choses, me répétaient-ils, inlassablement : en priorité, s’informer correctement, et donc ne pas prendre d’emblée pour vérité ce que les grands médias relaient avec souvent, effet d’annonce tapageur. Ensuite, si possible, venir en Palestine pour vérifier ce qu’il en est, et pour nous soutenir moralement car les autorités israéliennes nous persuadent que l’impunité dont elles bénéficient est la preuve de notre abandon par la Communauté internationale. Enfin et surtout, au retour dans vos pays, témoigner de ce que vous aurez vu et entendu ; exercer les pressions nécessaires sur vos gouvernements ; être notre voix puisque nous ne pouvons pas sortir de notre enfermement pour venir dire nous-mêmes, l’insoutenable enfer dans lequel l’occupant nous maintient depuis des décennies."

Daniel Vanhove

Bruxelles, une vaste coalition réclame une solution pour les sans-papiers


Une vaste coalition en Belgique réunissant les principaux cultes, le monde syndical, universitaire, étudiant et des ONG, a exhorté mercredi le gouvernement à clarifier enfin le sort de milliers de milliers d'étrangers sans-papiers vivant dans le pays.

Cette coalition inédite entend mettre la pression sur le gouvernement belge un an jour pour jour après que ce dernier a promis de définir rapidement des critères de régularisation. Sans résultat à ce jour.

Les cinq partis de la majorité avaient annoncé une nouvelle politique en matière de séjour des étrangers, avec un système de points tenant compte notamment de la notion d'"ancrage local durable" pour procéder à des régularisations.

Mais 12 mois plus tard, les directives d'application se font toujours attendre, ce qui a incité certains sans-papiers à occuper des locaux universitaire, à mener des grève de la faim ou à s'installer au sommets de grues.

"Il faut des critères clairs pour les personnes qui travaillent, qui sont intégrées, mais ne qui sont pas régularisée", a expliqué lors d'une conférence de presse Fred Mawet, une responsable de l'association Forum Asile et Migrations (FAM), entourée notamment d'artistes comme le cinéaste flamand Stijn Coninx et de leaders des principaux syndicats du royaume.

Selon le FAM, la Belgique compterait actuellement environ 100.000 sans-papiers, dont "plusieurs milliers" peuvent espérer une régularisation si les critères promis sont appliqués.

Au sein du gouvernement, alors que les partis francophones soutiennent le mouvement, les partis flamands craignent qu'une régularisation massive ne crée un "appel d'air" mal perçu par leurs électeurs, à trois mois d'importantes élections régionales.

"Au contraire, c'est ce flou juridique qui fait venir des gens", estime Mme Mawet.

"Nous vivons dans un Etat de non-droit pour les sans-papiers et ceux qui occupent nos locaux sont en danger du point de vue de la santé mentale, surtout les enfants", a expliqué le recteur de l'Université libre de Bruxelles, Philippe Vincke.

Une délégation a rencontré en fin de matinée le Premier ministre, Herman Van Rompuy, pour réclamer une décision "qui ne soit trop étriquée", selon Mme Mawet.

AFP

mardi 17 mars 2009

Décryptage de Nieuws diffusé sur tvbrussel le 13 août 2007

Canevas de l’émission d’information

Présentateur : Filip De Rycke, journaliste à Tvbrussel.
Invité : Arthur Van Amerongen, qui se dit « journaliste » et sera présenté comme tel.
1 sujet réalisé par la journaliste Anouk Vanherf : interview de Malika Abbad, adjointe du chef de cabinet du ministre flamand Bert Anciaux, en charge de Bruxelles et des affaires interculturelles. Elle s’oppose aux « conneries » de Van Amerongen qui ont «pour seul but d’attiser la peur des Marocains ».

Présentation aux téléspectateurs

Filip De Rycke, journaliste de Tvbrussel : « Bruxelles Eurabia » sort d’ici quelques semaines dans les librairies. Ce livre parle de la communauté musulmane de Bruxelles et promet d’être« stupéfiant » et « hallucinant », s’il faut en croire nos collègues du magazine Knack. Pour écrire ce livre, Arthur Van Amerongen a infiltré la communauté musulmane de Bruxelles ».

Remarque : l’utilisation du terme « infiltré » suggère que l’invité va évoquer une sorte d’organisation secrète de type maffieux ou terroriste qui se livre à des délits ou des crimes. Celle-ci doit se cacher des autorités puisqu’il a dû « l’infiltrer » ... Or, en quoi la« communauté musulmane » correspond-elle à cette suggestion ? On infiltre Al Qaeda, la mafia, une secte ou un groupuscule extrémiste pas un ensemble hétéroclite de personnes dont le point commun est de pratiquer l’Islam et/ou de partager les préceptes d’une culture musulmane. Dès le départ, le téléspectateur est plongé dans une imagerie raciste qui vise à amalgamer musulmans et terroristes.

Affirmations racistes de Van Amerongen

1. « J’ai infiltré pendant un an la communauté musulmane de Molenbeeket des Marolles, et ces gens … n’ont rien avoir avec la Belgique, ils haïssent les Belges. »

Remarque : Nouvelle utilisation du terme « infiltrer » pour mieux appuyer la conclusion :« Ils haïssent les Belges ». Par ce « Ils », doit-on entendre des « terroristes musulmans » qui« n’ont rien à avoir avec la Belgique » ? Ce nouvel amalgame raciste et l’accusation de haine sont d’autant plus absurdes qu’une grande partie de la dite « communauté musulmane » est belge, née en Belgique, scolarisée en Belgique et travaille en Belgique.

• Journaliste : « Parler-vous de toute la communauté marocaine, de toute la communauté musulmane de Bruxelles ? »

Remarque : Dans un accès de spontanéité, le journaliste commet à son tour un amalgame :musulman = marocain. Ce qui est faux. Mais cet aveu spontané dévoile QUI est censé se cacher derrière ce terme de « communauté musulmane ». Sachant qu’il existe - en Belgique comme dans le monde ! - des musulmans à la peau blanche, aux yeux bridés ou à la peau noire, De Rycke stigmatise bien « les Marocains » et par extension : « les Arabes ». Le fait qu’il se reprenne directement en parlant à nouveau de « toute la communauté musulmane » confirme la stigmatisation anti-arabe.

2. « Non, non, des Marocains avec leur barbichette, leur demi pantalons et les pieds nus dans leurs chaussures. Non, c’est une communauté très dangereuse, une bombe à retardement »

Remarque : après avoir tenté de ridiculiser « des Marocains », l’auteur retourne à son obsession. « Une communauté très dangereuse » habillée d’une métaphore parlante : la« bombe à retardement ». Allusion qui accole - pour la troisième fois ! - la caractéristique terroriste à la dite « communauté ». Aucun argument, aucune justification, aucun raisonnement ne vient étayer cette affirmation gratuite et raciste qui vise à effrayer l’auditoire.Et celle-ci doit se comprendre comme telle : « Les Arabes sont dangereux parce que terroristes ».

3. « Vous devriez vous concentrer sur les 25% de musulmans vivant àBruxelles. Le danger, il est là (…) Les Marocains sont bien plus dangereux que les Wallons ».

Remarque : L’amalgame raciste concernant « Les Marocains » se double d’un autre implicite : Les Wallons, dans leur ensemble, sont « dangereux ». Mais « beaucoup moins » que les Marocains …

Journaliste : « Vous dites ‘25% de musulmans à Bruxelles’. Sont-ils tous dangereux ? Non, quand même ? ».

Van Amerongen : « Non, mais si 1% d’entre eux sont dangereux, vous êtes mal barré… »

Remarque : Outre la falsification chiffrée, l’inouïe trivialité de cette « réponse » rend tout groupe « dangereux » puisque dans chaque groupe humain peut se trouver une minorité d’individualités dangereuses. A ce compte-là, les Belges, les Bouddhistes, les cyclistes, les footballeurs, les roux, les gros, etc. sont tous dangereux puisque certains d’entre eux peuvent l’être … Cette phrase démontre, à nouveau, le racisme de son auteur. Il sous-tend que la dangerosité supposée d’une minorité va contaminer l’ensemble de la dite « communauté musulmane ». Et il conclut : « Vous êtes mal barré ». Un « Vous » qui n’a pas les cheveux crépus ou le teint basané mais qui ressemble au physique blanc du présentateur…

4. « Que faut-il penser des Marocains qui vivent ici ? Vous pensez qu’ils sont loyaux envers le gouvernement belge ? Non. Ils nous haïssent. Les Marocains nous haïssent ».

Remarque : Ici, le discours est dénudé des précautions oratoires de pure forme telles que« communauté » ou « musulmans ». Il s’agit d’un discours raciste assumé et asséné dans lequel « Les Marocains », dans leur ensemble, sont « déloyaux » envers les autorités et« haïssent » les Européens. Ici encore, le « nous » concerne à la fois le présentateur et l’invité ; un Belge et un Hollandais. Plus prosaïquement, ce « nous » signifie « Blancs » ;« Les Marocains » signifiant « Les Arabes ».

5. A la question « Imaginons que cet attentat ait lieu (à Bruxelles) ? Qui le commettra et surtout pourquoi ? », Van Amerongen répond :« Des Marocains ! Regardez tous les attentats en Europe : Madrid, même en Angleterre … 80% sont des marocains ».« Mais que veulent-ils obtenir ainsi ? », cautionne le journaliste De Rycke.« La haine », répond Van Amerongen.« C’est la haine de la Belgique, des Pays-Bas, de l’Occident, de la culture chrétienne, de tout ce que vous voulez. Ils haïssent ce que nous sommes. Les Marocains nous haïssent ».

Remarque : le racisme profond contenu en filigrane dès le début de l’entretien est ici totalement débridé. Cette sordide apologie de l’exclusion et de la peur, qu’on croyait pourtant interdite de télévision, se trouve ici médiatisée comme une opinion certes raide mais finalement légitime. Ce cinquième extrait, qui n’a, pour l’instant, fait réagir aucune association antiraciste et qui bénéficie toujours d’une complaisance médiatique, confirme qu’aujourd’hui le racisme anti-arabe explicite est de plus en plus toléré ou … partagé.

6. « Bruxelles est emmerdée par les Marocains, et cette femme dit : ’Non,ce sont quelques marocains qui embêtent tout le monde. Venez avec nous … ’. L’hypocrisie des Marocains est terrible (…) C’est typiquement marocain de ne pas balayer devant sa porte et toujours se défendre. Ok, 10% des Marocains de Bruxelles sont des junkies, 10% sont des extrémistes, et elle dit : ’Non, venez avec moi et vous verrez un gentil marocain qui a un petit magasin, vous verrez comme ils sont gentils’. Non, il ne s’agit pas de ça, de ces 80% là. Il s’agit des 20% qui foutent la merde ici à Bruxelles ».

Remarque : Oscillant entre la généralisation raciste et les statistiques sorties de nulle part, M.Van Amerongen évoque les « gentils marocains ». Le raciste fréquentable les qualifie spontanément de « ça » … avant de se reprendre et d’ajouter : « Ces 80% là ». Un lapsus qui balaye l’écran de fumée aux apparences respectables que visait un verbiage pseudo-journalistique.

Relances inappropriées ou cautions racistes de Filip De Rycke

• Après avoir entendu que la « communauté musulmane » est une « bombe à retardement », Filip De Rycke ne trouve rien d’autre à opposer que : « N’est-ce pas un peu entretenir la culture de la peur ? ». L’absence de désapprobation claire face à cette affirmation raciste est inadmissible de la part d’un journaliste digne de ce nom.

• Après avoir entendu « Si 1% d’entre eux sont dangereux, vous êtes mal barré », De Rycke ne trouve rien de mieux à dire que : « Mais pouvez-vous dire dans quel délai ça va arriver cette … ». Van Amerongen suggère : « Cette bombe ? ». Et le journaliste d’enchaîner : « Oui, cette ‘bombe à retardement’ ». Au lieu de s’opposer radicalementà son invité, le journaliste cautionne l’affirmation raciste selon laquelle la dite« communauté musulmane » est une « bombe ». Et s’inquiète, « sérieusement », de savoir quand celle-ci va exploser… Si besoin était, la réponse de Van Amerongen confirme l’inanité de son « livre » : « Je n’en sais rien, mais ça arrivera »… Sidérant d’incompétence, d’ignorance, de bêtise et de racisme ordinaire. Au regard de l’Histoire, comment ces inepties xénophobes peuvent-elle encore être diffusées parune chaîne publique régionale ?
• En posant la question « Revenons à cette communauté musulmane que vous avez pu infiltrer. Est-ce que cela a été facile ? », Filip De Rycke cautionne l’imagerie selon laquelle la « communauté musulmane » de Bruxelles équivaudrait à une société secrète criminelle ou à une organisation terroriste clandestine. Il n’est possible de la découvrirqu’en l’infiltrant. Par cette question, anodine en apparence, le journaliste médiatise l’équation raciste : musulman = terroriste. Il le fera à trois reprises durant l’émission.Si besoin était, la réponse de Van Amerongen montre l’absurdité de ses investigations dignes d’une propagande raciste d’un autre temps: « Non, très difficile. Je n’ai pas bu pendant huit mois. Or j’apprécie une petite bière de temps en temps » …

« Vous avez dit : ‘Plus je rassemblais des informations, moins je parvenais à comprendre les Marocains’ (…) Si c’est votre sentiment, malgré tous vos voyages -vous avez été correspondant de guerre -, malgré vos études, votre métier, ce sentiment doit être partagé par le citoyen bruxellois lambda. Cela explique-t-il en partie pourquoi la vie en commun des deux communautés est si difficile ? Ou pourquoi elles ne se reconnaissent pas ? ». Avec cette ultime interrogation, le journaliste veut-il sauver ce qu’il reste des meubles que l’invité a brûlé en direct ? Trop tard et maladroit ! Ses études, ses voyages ou son passé n’ont pas empêché Van Amerongende présenter ses pulsions racistes comme des « informations ». En revanche, ces « critères » conjugués à la bienveillante mise en scène d’une critique formelle et de façade ont empêché Filip De Rycke de faire son métier en tenant la contradiction haute face à son interlocuteur.

Conclusion

tvbrussel a permis à un personnage controversé de déployer ses élucubrations racistes en associant 3 fois le mot « dangereux » à « communauté musulmane » et 7 fois le verbe « haïr » à « Marocains ». Le tout en 11minutes. Quasi chaque minute, la loi contre le racisme et la xénophobie a été violée. Dans l’indifférence générale. tvbrussel s’est-elle excusée ? Désire-t-elle programmer une émission plus intelligente et plus équilibrée ? Non, répond le rédacteur en chef de tvbrussel, Jan De Troyer, qui estime qu’il faut « avoir la possibilité d’écouter toutes les opinions » …

Olivier Mukuna

Sans papiers : la construction d'un danger imaginaire

« L’ordre social n’est que l’ordre des corps » nous rappelle Bourdieu. Il n’est donc pas étonnant que notre manière de concevoir la crise (un terme d’origine médicale parmi tant d’autres utilisés dans le débat politique) emprunte à la pathologie. Selon une conception dominante de la maladie, le mal s’explique par l’intrusion d’êtres étrangers dans le corps.

De ce point de vue, la maladie est une entité extérieure à l’organisme qui vient perturber son équilibre. Afin de lutter contre elle, il convient donc d’expulser le corps étranger. C’est ainsi au besoin thérapeutique que Canguilhem attribue l’origine « de toute théorie ontologique de la maladie » comme il en explique le succès par ce qu’elle contient de représentation du mal. En effet, « pour agir, il faut au moins localiser » et quoi de plus apaisant que de voir la maladie en l’intrusion d’un corps exogène dont le rejet suffit à la guérison.

« Voir dans tout malade un homme augmenté d’un être... c’est déjà en partie se rassurer ». Il ne reste ainsi à la sorcellerie ou à la science qu’à exclure l’altérité que pour ramener le plein équilibre. Ainsi semble-t-il en aller, pour nos élites politiques, de leur perception de la société. Notre économie, gravement en crise, se doit de réagir pour retrouver le plein emploi de ses capacités. Et de la même manière que « rejeter des vers, c’est récupérer la santé », expulser des étrangers participerait de la guérison.

Mais encore faut-il localiser et quantifier ces agents « crisogènes ». Et assurément, étant donné la crise que nous connaissons, leur nombre doit être suffisamment élevé que pour constituer un agent causal entre l’expulsion de ces corps étrangers et le maintien de notre sécurité de vie, notamment dans la lutte contre le cancer social qu’est le chômage.

Ainsi les estimations du nombre d’étrangers, en situation irrégulière sur le territoire belge, les plus souvent mobilisées dans le débat public oscillent autour de 150 000 personnes, dans une fourchette qui varie entre 100 000 et 200 000 personnes. A titre d’ordre de grandeur, si l’on considère les trois principales populations d’étrangers non communautaires (i.e. extra-UE) inscrits régulièrement en Belgique en 2008, il y aurait autant, voire plus, d’étrangers « irréguliers » que d’étrangers « réguliers » de nationalités marocaine, turque et congolaise, ces derniers représentant dans leur ensemble un peu moins de 145 000 personnes. Toujours à titre de comparaison, l’immigration irrégulière est estimée en France entre 200 000 et 400 000 personnes. Estimation fournie par Sarkozy au Sénat français alors qu’il était encore Ministre de l’Intérieur, estimation peu suspecte donc de sous-estimer le nombre d’ « irréguliers ».

Se pourrait-il qu’il y ait en Belgique plus de « sans-papiers » que d’étrangers « réguliers » marocains, turcs et congolais ?

Se pourrait-il que la Belgique soit attractive au point d’attirer, à population égale, trois fois plus d’émigrés « irréguliers » que la France?

Un simple regard sur les hypothèses ayant servies de base à l’estimation de l’immigration irrégulière en Belgique révèle toutefois toute la phantasmatique de notre représentation de l’étranger.

En effet, le chiffre de 150 000 personnes en situation irrégulière en Belgique s’appuie sur une estimation initiale de 100 000 personnes, estimation majorée par la suite d’environ 50 000 personnes lors de l’adhésion de la Pologne à l’Union Européenne en 2004. L’estimation initiale de 100 000 « irréguliers » se basant sur une proportion d’un étranger en situation irrégulière pour 10 étrangers « réguliers ». Cette proportion de un pour dix fut retenue suite à l’hypothèse proposée en 1997 par M. Poulain, démographe à l’UCL.

Toutefois, M. Poulain dans le cadre d’un rapport mis en ligne par le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme en avril 2008 conviendra que cette estimation « est plus que contestable ». En effet, cette manière d’estimer les étrangers « irréguliers », outre les questions posées par le simple fait de vouloir les quantifier, est totalement irréaliste. De fait, il convient de rappeler que plus des deux tiers des étrangers inscrits régulièrement en Belgique sont communautaires et jouissent du plein droit de circulation et d’installation en Belgique. Par ailleurs, au terme de la période transitoire imposée aux nouveaux états membres de l’UE, c’est à peu près les trois quarts des étrangers résidant en Belgique qui y jouiront du libre droit de circulation et d’installation.

En 2006, près d’un immigré sur deux, rapatrié du fait de sa présence irrégulière sur notre territoire est ... communautaire en 2008. Ainsi, un peu moins de 50% des personnes rapatriées cette année-là sont soit polonaises, bulgares ou roumaines.

Quel est le sens d’expulser des étrangers qui pourront dès demain revenir dans notre pays ? Le rapatriement, en 2006, de ces 3 207 « irréguliers » communautaires ne serait-il qu’un rituel d’exorcisme ou de désenvoûtement ? Et quant aux 3 422 « irréguliers » non communautaires rapatriés cette même année, ne serait-ce là qu’un rite sacrificiel destiné à ramener l’emploi, comme d’autres rites ramèneraient la pluie, dans une société où, grosso modo, plus d’un million de personnes souffrent de non ou de mal emploi (chômeurs et travailleurs précarisés) ?

Il est, toutefois, une autre conception dominante de la pathologie, une conception dynamique qui considère la maladie comme un conflit entre des forces antagonistes internes à un même corps... Mais, conclut Canguilhem, même si les métaphores entre le corps et la société sont nombreuses, bien que rarement conscientes, la société n’est pas un organisme. Ainsi, son analyse de la régulation montre notamment que si l’organisme bénéficie d’une autorégulation extrêmement développée, il n’est d’autorégulation ou de justice sociale spontanée.

Par ailleurs, la politique de sortie de crise menée par nos gouvernements successifs depuis la quarantaine d’années ( !) que dure la crise n’a rien d’une thérapeutique sociale atténuant les maux de notre société. Et si la condition des « sans-papiers » était un indicateur de la déliquescence de nos droits économiques et sociaux ?

Qui sera le prochain bouc émissaire ?

Souhail Chichah

Il n'y a pas de Belges entre guillemets !

Nommée, il y a quelques mois, représentante spéciale de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour Guantanamo, Madame Anne-Marie Lizin, par ailleurs troisième personnage de l’Etat belge – en sa qualité de Présidente du Sénat – se voit accorder par les autorités américaines une invitation officielle à se rendre à la prison de Guantanamo.

C’est en tant que rapporteur de la Commission des Droits de l’Homme de l’OSCE qu’elle visitera le centre de détention qui suscite de nombreuses controverses de par le monde. Dans son rapport de fin mai 2005, Amnesty international va même jusqu’à traiter Guantánamo de «goulag de notre époque».

Vendredi dernier - soit à la veille de la Journée internationale des Droits de l’Homme -, interrogée par la RTBF, sur les objectifs de sa mission à Guantanamo, Madame Lizin répond qu’il s’agira de voir « quelles procédures sont appliquées, aujourd’hui, à ceux qui y restent puisqu’à l’évidence, un certain nombre de ces prisonniers ont été restitués », et d’ajouter, non sans avec forte conviction, que « nous avons les deux belges entre guillemets qui étaient dans ce cadre et qui n’étaient pas des enfants de chœur ».

Face à de telles déclarations, on ne peut s’empêcher de s’interroger sérieusement sur la crédibilité de cette « représentation spéciale » dont se prévaut Madame Lizin, quand celle-ci n’hésite pas à tenir des propos disqualifiants et discriminatoires à l’égard de ses propres concitoyens, les reléguant ainsi à une sous-catégorie de Belges.

Pour rappel, les deux ressortissants belges en question, Moussa Zemmouri et Mesut Sen, ont été détenus de manière arbitraire, pendant plus de trois ans, dans la base américaine de Guantanamo, avant d’être rapatriés en Belgique, le 25 avril dernier, lavés de l’accusation de « combattants ennemis » par les Etats-Unis.

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Bien que les autorités judiciaires belges les aient inculpés dès leur retour au pays - sur base uniquement d’informations fournies par les autorités américaines - pour participation à une organisation criminelle, cela donnait-il le droit à Madame Lizin de manquer à son devoir de réserve et d’impartialité et ce, au mépris du principe de présomption d’innocence garanti à toute personne faisant l’objet d’une inculpation ? Est-ce dans ce même état d’esprit que la représentante spéciale de l’OSCE compte mener à bien ses missions à Guantanamo ?

Par ailleurs, n’est-il pas pour le moins choquant d’entendre la présidente du Sénat belge parler de «Belges entre guillemets » pour désigner nos deux concitoyens ? A l’évidence, il s’agit là, dans le chef du troisième personnage de l’Etat, d’une grave bavure constituant une violation du principe d’égalité et de non discrimination inscrit dans notre Constitution.

Alors que d’ordinaire, de tels propos sont tenus par des représentants de l’extrême droite, il est frappant de constater à quel point on peut se déclarer démocrate et, en même temps, se laisser contaminer par des discours nauséeux et extrémistes. Cette dérive appelle une condamnation de la part de toute la classe politique ; il en va, en effet, de la crédibilité de notre état de droit.

Dans une affaire récente, concernant un dossier judiciaire pendant, Madame Lizin reconnaissait avoir commis une «faute» et présentait ses «excuses » au sénat. En tout état de cause, il nous paraît évident que Madame Lizin, n'a pas su tirer suffisamment de leçons du passé. En tenant ces propos inacceptables, Madame Lizin n’est assurément plus digne de présider une assemblée représentative de TOUS les citoyens belges !

Farah Ismaïli

Abdelghani Ben Moussa

Ahmed Mouhsin

D'une connerie l'autre...


« Il y a dans la culture arabo-musulmane une recherche du martyre, le shahid. Ce n'est pas moi qui ait écrit ces conneries mais un certain Mahomet disant révéler la parole de Dieu».


Josy Dubié (Ecolo)

Et si le foulard pouvait libérer ?

Je ne signe pas la pétition intitulée « La place des convictions philosophiques à l’école » [1]. Malgré toutes ses précautions oratoires, elle vise uniquement le port du foulard par les jeunes filles musulmanes et certaines conceptions attribuées à la seule religion musulmane. Existe-t-il un autre « signe ostensible d’appartenance philosophique ou religieuse » qui fasse débat dans la Belgique d’aujourd’hui ?
Mais pour éviter le mot fatidique, la pétition s’est un peu égarée. La loi française du 15 mars 2004 sur le sujet se limitait à ceci : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». Or la pétition belge va beaucoup plus loin. Elle concerne non seulement les conceptions religieuses, mais aussi philosophiques. Elle concerne non seulement les écoles publiques, mais aussi les écoles subventionnées par l’Etat.

Rallumer la guerre scolaire ?
Une telle loi entraînera un grand nettoyage de toutes les écoles catholiques subsidiées par l’Etat : plus de crucifix, plus de références affichées à telle déclaration du pape. Comment pourrait-on interdire aux élèves et aux enseignants d’afficher des signes religieux, tout en tolérant qu’ils garnissent les murs de l’institution ? Autrement dit, la pétition rallume la guerre scolaire. C’est d’ailleurs ainsi que le président du Conseil interdiocésain des laïcs, Paul Löwenthal, l’a compris. Il déclare dans une Carte blanche du Soir du 18 juin 2007 : « Loin de donner leur place aux religions, elle (la pétition) demande de les en exclure. Et elle met en cause l’existence même des écoles confessionnelles ». Son interprétation est parfaitement légitime.
Il faudra que la loi revendiquée précise ce qu’elle entend par « signe ostensible d’appartenance philosophique ou religieuse ». Une barbe naissante sur le menton des jeunes garçons ? Un crâne rasé ou une coiffure rasta ? L’étoile de David en pendentif ? L’imagination des jeunes pour exprimer leurs convictions est sans limite. Et c’est tant mieux. Plutôt que d’interdire les signes des convictions philosophiques ou religieuses, ne faudrait-il pas encourager les jeunes à exprimer la diversité de leurs convictions comme de leurs doutes ? N’est-ce pas ainsi qu’il faut interpréter l’article 24 de notre constitution : « La communauté organise un enseignement qui est neutre. La neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves » ? La neutralité ne se réalise pas par des interdits mais par la diversité des convictions et le respect des individus.

Fini de contester !
La pétition met en cause la « contestation des contenus mêmes des cours ». Ce genre de formulation est dangereux. D’une part il y a le programme des cours, d’autre part il y a le débat nécessaire avec les jeunes sur ce qu’ils pensent du contenu des leçons données. Il faut encourager les jeunes à exprimer leurs divergences sur le contenu, sinon ils remettront en question leur participation aux cours, ce que nous ne voulons pas.
Les enseignants sont débordés par la situation dans les écoles, c’est vrai. L’avenir que notre société réserve à nos enfants est le principal problème à résoudre et les enseignants le savent très bien. Ajouter une série d’interdits dans une telle pétaudière ne résoudra rien au problème, il ne fera que l’aggraver. Il serait bien plus utile de revendiquer plus d’enseignants, plus d’éducateurs, plus de temps pour la réflexion et l’échange pédagogiques notamment.
La pétition invite les jeunes à « l’intériorisation de leurs convictions philosophiques ». Les jeunes ont donc « droit à des convictions », mais ils sont priés de les intérioriser. Si le droit d’avoir des convictions n’est pas lié au droit de les extérioriser, c’est un droit creux. Cet interdit supplémentaire ne fera que creuser le fossé entre professeurs et élèves. Un exemple. Selon la pétition, la mixité sociale est une « valeur fondatrice de notre société ». Va-t-on interdire aux élèves de contester ce point de vue ? Si « mixité sociale » signifie que les riches se mélangent avec les pauvres, où cette « valeur » est-elle appliquée ? Dans l’enseignement, les quartiers ou les entreprises, sur les espaces commerciaux ou de loisirs ? Comme enseignant(e), allez dire aux quelque 60.000 jeunes qui fréquentent l’enseignement professionnel : « Notre société est fondée sur la mixité sociale ; vous êtes priés de ne pas contester cette idée, mais comme nous sommes tolérants, vous avez le droit de penser, mais seulement de penser, qu’il n’y a pas une fille ou fils de bourgeois dans votre classe ». Il n’y a pas plus d’arguments scientifiques pour prouver que la mixité sociale a fondé notre société que pour affirmer que Dieu l’a créée. Cessons donc de présenter notre société comme idyllique et nous-mêmes comme les plus malins, alors que nous sommes tout simplement en train de liquider des droits élémentaires.

Ne confondons pas droits et valeurs
Des féministes s’en prennent au foulard au nom de la libération de la femme. Mais peut-on libérer les gens malgré eux et, de plus, en leur retirant un droit ? Pour un(e) démocrate, le droit de porter le foulard va évidemment de pair avec le droit de ne pas le porter. Accorder un droit ne signifie nullement qu’on milite pour l’exercice de ce droit. Réclamer le droit au divorce ou à l’interruption de grossesse ne signifie nullement la propagande en faveur du divorce ou de l’avortement. La société définit des droits pour la vie en collectivité et les individus exercent ces droits selon leurs valeurs propres. La dérive sur les valeurs, que nos sociétés redécouvrent soudainement quand il s’agit de l’immigration, a conduit la France de Sarkozy à se doter d’un ministère de « l’identité nationale et de l’immigration ». Aux Pays-Bas, elle a conduit un parti de gauche comme le SP à redécouvrir les bienfaits de la monarchie et la mission civilisatrice des colonies. Des athées mènent le combat contre le foulard au nom de la lutte contre la religion. Mais on ne fait pas reculer la religiosité des gens en leur interdisant de manifester leur culte. Je crains qu’on obtiendra ainsi le résultat contraire et c’est compréhensible. L’enjeu politique : l’exemple français
En France, c’est le journal d’extrême droite Minute qui a lancé la première attaque contre le foulard en diffusant, en 1983, l’image d’une Marianne voilée. C’est un maire de droite (RPR) qui a choisi l’affrontement avec trois jeunes filles, à Creil, le 4 octobre 1989. Le résultat direct est que le nombre de jeunes filles voilées a augmenté très rapidement. Parlant de la loi du 15 mars 2004, l’historien Gérard Noiriel note : « Le succès a été total puisque le texte présenté par la droite a été voté par la gauche et qu’en plus cette affaire a provoqué de très fortes divisions en son sein » [2].
Noiriel souligne que les jeunes filles incriminées appartenaient aux classes dominées. L’appartenance sociale des jeunes filles portant le foulard n’a jamais été prise en compte pas plus que la différence de la situation de la femme dans un pays islamique ou dans un pays comme la France.
L’exemple français mérite d’être médité. D’une caricature d’extrême droite à une loi votée par toute la classe politique, il n’a fallu que vingt ans pour opérer un « tournant dans l’histoire des discours sur l’immigration » [3]. Et ce n’est malheureusement pas le seul thème où les conceptions les plus à droite ont gagné presque toute la classe politique.

Et si la foi soulevait des montagnes ?
Au moment où j’achevais ce texte, la RTBf programmait un reportage sur le foulard. Un groupe de jeunes filles portant le foulard entament leurs études de médecine à l’Université Libre de Bruxelles. Leur seule présence dans cette faculté réfute les préjugés véhiculés par la pétition. Ces jeunes filles contribuent à la mixité sociale de l’université. Quarante ans après mai 68, les enfants des couches populaires y sont toujours une minorité. Pour y arriver, ils doivent vaincre bien plus d’obstacles que les autres enfants. Elles contribuent aussi à la mixité des genres. Elles prouvent ainsi que la religion musulmane ne constitue pas en soi un handicap à l’accession des jeunes filles aux études supérieures. Leur foi ne les empêche pas d’étudier la biologie et de combiner la croyance en un créateur et l’étude des méthodes scientifiques.
Le libre examen devrait reconnaître à ces jeunes filles leur droit inconditionnel à poursuivre leurs études. Mais non, il leur est ordonné de renoncer au foulard avant d’entrer dans un laboratoire. Rebelles, elles sont convoquées chez un haut responsable de la faculté. Et quel argument rationnel donne le représentant officiel du libre examen et de la méthode scientifique ? « Ici, nous ne sommes pas au Club Med ». Fin de citation. Depuis la maternelle jusqu’à l’université, je n’ai fréquenté que les bonnes écoles de la Ville de Bruxelles et le temple du libre-examen. Je n’ai jamais été croyante mais j’ai toujours eu la faiblesse de croire en la bonté du genre humain. Face à ces jeunes filles, nous les athées libre-exaministes, sommes-nous incapables d’émettre une hypothèse inverse à celle de la pétition ? A savoir que c’est peut-être la foi qui a aidé ces jeunes filles à vaincre tous les obstacles sur le chemin de leur émancipation ? Et si cette foi-là implique le port du foulard, en quoi cela nous regarde-t-il ?
Article paru dans le Drapeau Rouge N°19 du mois de septembre 2007.

Notes
[1] Voir texte intégral de la pétition sur http://ecoleetreligion.canalblog.com/
[2] Ce bref historique est tiré du livre de Gérard Noiriel, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXème-XXème siècle), Discours publics, humiliations privées, Fayard, 2007, pp 634 et suivantes.
[3] idem, p. 639


Le terrorisme du Keffieh

« Nous devons éviter qu'un certain nombre d'idées en rapport avec l'islam soient envoyées au monde. Monsieur Fouad Ahidar ne peut pas me tenir rigueur si j'estime qu'il n'est pas intelligent de porter des signes extérieurs de convictions qui sont associées par une bonne part de la population au terrorisme international. De tels signes ne contribuent pas à la réalisation d'une société harmonieuse. Une partie de la communauté peut en effet les vivre comme perturbante. »« L'histoire considère Yasser Arafat comme un terroriste international. Si on veut s'identifier à des personnages comme Arafat ou Ché Guevara, on ne contribue pas à (créer) un climat serein si indispenable. ».


Guy Vanhengel (Open VLD, libéral)

Indigénat bruxellois

« Pour le colonisé, l'objectivité est toujours dirigée contre lui...» (Frantz Fanon)

Nous l’avions écrit quelque part, la lecture de la presse belge est pour nous une épreuve. Mais voici que le masque grimaçant de la belgitude, son nihilisme speculoos notamment, s'impose une nouvelle fois à nous. Il n’est décidemment nul exil dans le « village global » d’aujourd’hui… Ainsi, dans le dernier numéro du Monde Diplomatique (Août 2008), on peut lire un article intitulé « Avec les jeunes de Bruxelles enfermés dans leurs quartiers», écrit par Olivier Bailly, Madeleine Guyot, Almos Mihaly et Ahmed Ouamara, quatre paires de bras cassés qui ont de l’entregent...

Les articles traitant du Bruxelles sociologique sont tellement rares, dans la grande presse, que ce texte mérite qu’on s’y arrête un peu. Comme souvent en lisant ce type de production pseudo-savante on apprend plus sur les auteurs, et leur géographie mentale, que sur leur objet d’étude. Et puis qu'ont-ils à nous apprendre sur la dirty old town, le «sépulcre blanchi» cher à Conrad, où nous sommes né? Ainsi, sous les dehors euphémisés de la science, drapé derrière une « objectivité » de façade, on distingue un racisme de classe (1), voire un racisme tout court.

Objectivons l’objectivation et déterminons d’où ça parle très exactement. Qu'y voit-on ? A l'évidence, les valeurs petites-bourgeoises des auteurs - petite-bourgeoisie dans sa variante culturelle (Yuppies, Bobos…) - qui sont aussi situées socialement et historiquement, affleurent partout dans l'article. On y trouve, sous-jacentes, la rédemption par la « culture », pourtant démontée par Bourdieu depuis belle lurette ; la valorisation de la « diversité » dont Sarkozy est le chantre outre-Quiévrain et l’exigence de « mobilité », du je bouge donc je suis, qui confine à la névrose. Soit les lieux communs idéologiques les mieux partagés actuellement.

L'ironie - mais en est-ce vraiment une?- est qu'ils le sont aussi par les aménageurs urbains du jour ; chez eux ce discours sert essentiellement, d'une part, à gentrifier la ville - embourgeoisement des quartiers populaires - et, d'autre part, à développer une « urbanité factice » (Mike Davies) à l'usage des élites déterritorialisées, bref, à chasser les « indigènes » désargentés de celle-ci.

En quoi serait-il plus légitime de jouer au foot dans un club que dans la rue ? En quoi boire un verre aux Halles Saint-Géry, plutôt qu’à Cureghem, permettrait-il de s’émanciper ? De quelles plus-values le nomadisme contemporain, par rapport à la Street corner society des classes populaires, peut-il se prévaloir ? Hoggart parlant du rapport au « local » de la classe ouvrière, observait que pour celle-ci, « il suffit de franchir le seuil de l’habitation ou de s’asseoir sur une des marches de l’entrée, par une chaude soirée d’été, pour se trouver plongé sans transitions dans la vie du quartier » (2).

Mais, par delà ces jugements de valeurs sommaires, à l’emporte pièce, discours descriptif qui trahit un discours prescriptif de contrebande, la manière même dont est considérée la jeunesse des classes populaires est plus qu’ambiguë. Tout dans sa description relève d’une rhétorique du manque, du lacunaire. Cette jeunesse est « engluée », « cloisonnée », dotée d’ « une palette d’identité extrêmement réduite », en « déficit de capital social, culturel, économique », « incapable de rencontrer l’autre »… Bref, une jeunesse, et une humanité, par défaut !

Mais au déficient, il faut ajouter la menace. En creux, car le discours pseudo-scientifique aime le non-dit et l'implicite, cette jeunesse issue des classes laborieuses, appartient aussi aux classes dangereuses, puisqu’elle est productrice « de fantasmes et de rumeurs sur l’autre » qui se finissent en « heurts » comme on le sait. Eh oui, si cette jeunesse suscite des représentations douteuses, elle ne le doit qu’à elle même, elle n’avait qu’à pas être, ainsi va la pensée réactionnaire, soft et new look, d’à-présent…

Soit un portrait de cette jeunesse qui est surtout un portrait des préjugés de classe des auteurs dont le dispositif scientifique élude, dissimule la position sociale de ceux-ci. Un portrait sans nuance, sans relief, coulé dans du béton qui emprunte les ressorts stéréotypiques les plus éculés du discours qu’il voulait dénoncer. On n’échappe pas à son ethos de classe - que l'appartenance de classe soit de fait ou en terme d'aspiration !

Un portrait qui fait très peu de cas du point de vue des « indigènes », sinon, ils auraient remarqué qu’ils sont, eux aussi, dotés de complexité, d’intelligence et d’inventivité ; ils auraient remarqué que sous l’aliénation apparente, on peut y voir des ruses subtiles, des tactiques de résistance, de l'imaginaire bricolé (ethnoscape) et une volonté d’émancipation qui s'exprime à leur manière (3), car le « droit à la ville » ne se reçoit pas, il se prend.

Mais le point de vue misérabiliste et paternaliste aime le roman de l'émancipation dont il serait le héros. Et ce héros aime à parler à la place de... On l'aura compris, ce point de vue sert - encore et toujours - à asseoir un rapport de force. Devinez qui en est le bénéficiaire ? Et devinez au détriment de qui il se fait?

(1) « Il faut avoir à l’esprit qu’il n’y a pas un racisme, mais des racismes : il y a autant de racismes qu’il y a de groupes qui ont besoin de se justifier d’exister comme ils existent, ce qui constitue la fonction invariante des racismes. » (Bourdieu)
(2) Richard Hoggart, La culture du pauvre, Traduction Française, Editions de Minuit, 1970, coll. « Le Sens Commun ».
(3) « Nous devrions accepté les limites de notre imaginaire quant au pouvoir et au principe d'organisation qui sont les leurs - les dominés - , et donc accepter qu'ils imaginent des choses que nous ne pouvons saisir facilement.» (Edward Saïd, Réflexions sur l'exil et autres essais)

Le Bougnoulosophe